CHAMBRE CENTRALE, COULÉE ROUGE

AMINA BENBOUCHTA
26 FÉVRIER - 30 AVRIL 2022

EXPOSITIONS

PRÉsentation

 

« Des coulées d’affection, d’infection, des coulées de l’arrière-ban des souffrances, caramel amer d’autrefois, stalagmites lentement formées, avec ces coulées-là qu’il marche, avec elles qu’il appréhende, membres spongieux venus de la tête, percés de mille petites coulées transversales, allant jusqu’à la terre, extravasée, comme d’un sang crevant les artérioles, mais ce n’est pas du sang, c’est le sang des souvenirs, du percement de l’âme, de la fragile chambre centrale, luttant dans l’étoupe, c’est l’eau rougie de la veine mémoire, coulant sans dessein, mais non sans raison en ses boyaux petits qui partout fuient ; infime et multiple crevaison. »


Quand l’artiste Amina Benbouchta se tourne vers les mots d’Henri Michaux, une quête de vérité poétique en jaillit. L’artiste retrace les vies féminines en couleurs et en signes, donnant naissance à un monde silencieux rythmé par des graphies sonores. L’exposition Chambre centrale, coulée rouge est un déplacement libre dans « l’espace secret du dedans » où la peinture coule de l’intérieur. Un mouvement s’opère, comme une découverte des entrailles interdites à coup d’échos et de murmures. Amina Benbouchta est une artiste marocaine qui part à l’exploration de différents médiums et de plusieurs techniques artistiques. Elle construit son univers à travers la pratique du dessin et de la sculpture en passant par la performance et la photographie. Sa pratique polymorphe donne naissance à des créations complexes et nuancées, toujours en dialogue avec nos sociétés contemporaines, son histoire et ses évolutions.

Épris de rouge, un décor se dessine dans la salle d’exposition : le lourd velours carmin nous isole du monde et dévoile une chambre, son décor intime et son odeur aussi rassurante que secrète. A la croisée entre espace domestique et réception festive : le lieu peut se faire refuge ou prison - son aura, tangible et pourtant insaisissable, émerge et s’efface aussitôt. La couleur de l’amour, du sang de la mort et de la maternité oscille au fil des siècles et des cultures. Le pourpre s’y exprime, dans toute sa dimension sacrée, retraçant les longues capes romaines qui flottent au dessus du sol, les multiples symboles religieux et surtout, les mariages, où la jeune fille vêtue de rouge devient femme en ce jour spécial.

Cette pièce maîtresse est inondée de mémoire et de passages : les liens s’y multiplient, se succèdent à chaque recoin, entrelaçant souvenirs et manières de vivre : les naissances, la traversée d’un escalier menant aux réserves du grenier, les nuits de noces et la confection de savon laissent la place à l’étendue de grandes terrasses, lieu de liberté réservé aux femmes, où circuler et parler librement d’une maison à l’autre devient possibles.

« La liberté intellectuelle dépend des choses matérielles. » les paroles de Virginia Wolf résonnent entre les murs : l’ancrage matériel, la possession d’un lieu, détail primordial, permet aux femmes de s’émanciper, de se libérer des chaînes mentales pour exister.

Le monde semble divisé en deux, masculin d’un côté et féminin de l’autre - une certaine tension oppose l’onirisme au déchirement. Les œuvres deviennent le reflet d’un lieu secret où les pulsions intimes s’expriment. La question du corps, celui de la femme est alors posée : ponctué de tâche, de cages et de bien d’autres motifs variés. Pourtant, les écritures rongées laissent sentir l’existence féminine sans jamais véritablement la représenter. La petite fille est mise en parallèle de l’épouse et de la mère. Le rôle ambivalent de la mère se dessine, comme la sculpture Maman de Louise bourgeois : l'étreinte maternelle se confond avec la peur d’être enfermé dans le corps de la mère et de ne pas pouvoir en sortir. Ce qu’il reste du mariage, ce ne sont parfois que des noms de femmes qui ont laissé leurs enfants partir.


La présence animale, principalement celle d’un lapin, nous interpelle. Sans même en avoir conscience, nous semblons courir après ce dernier en parcourant les œuvres. Il porte avec lui les marques du temps, de l’insouciance et de la ruse. Contre le danger des mains masculines qui rodent, il fuit, en passant d’un monde à l’autre, traversant les dimensions, les œuvres et les âges.

Dans cet environnement recréé, des vestiges du passé, transformés et modifiés habitent l'espace. Les archives familiales se teintent elles aussi de rouge et y dévoilent des symboles, des motifs aux allures végétales. La pratique d’Amina Benbouchta se concentre sur la transposition de l’écrit à l’image, des dires en symboles porteurs d’espoir. Dans la forteresse de l’épouse, la petite fille semble y avoir semé quelques traces, laissant flotter de nombreux signes empreints d'innocence et de conscience. Comme un sceau libérateur, l’artiste vient apposer sur de nombreux supports, quelques tracés qui constituent le noyau principal de son langage plastique.

Dans un triangle ritualisé, l’artiste redessine les traditions, en bousculant l’ordre établi. Le Blanc y côtoie des nuances de gris, des notes vermillon qui viennent soutenir une grande profondeur saturée et cotonneuse. La tension et la violence, dans un véritable tiraillement, retranscrivent l’acte de peindre, dans une rapidité floue : les tâches, les marques et cicatrices sont des résidus d’un univers inconnu. 

Parfois, la froideur du métal tranche avec l’épaisseur des voiles et des tissus. Les armatures des meubles se parent d’un liquide noirâtre et visqueux. Le savon noir qui guide les tâches ménagères, celui du hammam avec sa luisance verte s’impose de plus en plus dans l’espace. Les tâches et l’investissement féminin régissent le lieu, comme une prise de pouvoir quotidienne : infaillible et silencieuse. Du mariage à l’habitacle, c’est un parcours rythmé de codes et de traditions qui trace la voie. La veine mémoire devient un héritage symbolique, qui se transmet d’une mère à ses filles. L'amour dialogue avec le crime : un je t’aime devient je te fuis, je te hais. La chambre centrale n'apparaît que lorsque l'esprit du sacrifice de la Saint-Jean incarnent ses murs et que les chimères d'un pays des merveilles se matérialisent.


Sans le savoir, nous avançons dans un lieu intime où des femmes, comme des fantômes invisibles, marchent vers leurs chairs, à la fois guéries et meurtries.


 

les oeuvres de l’exposition

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Amina Benbouchta

Durant plusieurs années, Amina Benbouchta a développé un corpus d’œuvres qui trouve sa source dans l’exploration des limites de la peinture, transformant concepts et observations en image, sculpture et installation. La diversité des médiums qu’elle explore permet d’analyser pleinement la complexe structure sociale de la vie contemporaine.

A travers une pratique polymorphe, qui évolue harmonieusement entre peinture, photographie, travaux sur papier, sculpture, installation et vidéo, Amina Benbouchta mène une réflexion anthropologique qui explore de manière singulière le dialogue existant entre environnement, objets du quotidien et figure humaine, mettant en évidence cette poésie du hasard qui émane souvent de leur rencontre.

Elle invente un langage symbolique issu à la fois de préoccupations personnelles et de problématiques socio-culturelles (…)

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