DE SUEUR ET D’ESPOIR

FÉLICITÉ CODJO
29 NOVEMBRE 2022 - 04 FÉVRIER 2023

OH GALLERY, DAKAR
PARTCOURS 2022

PRÉsentation

 

La foi permet de combler le désir,
L'attente,
Une absence qui grandit avec les années,
Plus forte avec le temps.

L'espoir rend le cœur fort,
Ne te fatigue pas,
A travers les moments incertains et les jours instables,
Tiens bon comme tu retiendrais un pet.

Les sages disent,
Le bonheur n'est pas une station à atteindre,
Mais une façon de voyager,
Avancez, il n'y a pas d'âge pour l'esprit.

La patience rend l'inconnu supportable,
Tenez la main de votre voisin,
Relevez les genoux faibles
La paix viendra. (1)

Le silence est une pièce sombre dans laquelle nous cherchons désespérément la moindre source de lumière. Aveugles et sans repère : l’espoir nous guide. A la sueur de nos fronts, nous faisons face à nos esprits trop grands, à ce vide que seuls des cris pourraient combler. Les œuvres de Félicité Codjo dilatent nos perceptions, elles nous poussent vers une atmosphère sereine, qui côtoie, dans le même temps, un sol instable menaçant de s’effondrer à chaque instant.

Comme les astres, qui recentrent notre présence dans le monde, Félicité Codjo fait de la condition humaine le centre de sa constellation créative, une membrane de pensée et d’espace, qu’elle ne cesse d’articuler, de nuancer et d’étendre à des horizons émotionnels toujours plus poussés.

Ses œuvres sont inclassables, elles marquent, projettent et capturent notre réception jusqu’à la percuter. Inscrire ses travaux dans un héritage pictural apparaît alors impossible : sa pensée se construit par des chemins contraires à l’écriture d’une histoire patriarcale.

« L'endroit où vous vous trouvez s'appelle Ici,
Et vous devez le traiter comme un puissant étranger.2»

Perdez-vous, simplement, marchez, cultivez l’espoir pour sortir de l'obscurité. À la manière de David Wagoner, Félicité Codjo brouille les pistes du réel pour mieux nous captiver. En face de nous, il ne reste que les projections de nos âmes, celles que l’on essaie de choisir et les autres : celles que l’on souhaiterait, secrètement, effacer. L’univers que l’artiste présente est dense, d’une grande intensité. Il imbibe nos sens, au plus profond de nos êtres par des jeux de provocation, de peurs et de rejet qu’il nous ait incapable de contrôler.

Nous sommes invité.e.s à partager un voyage qui n’est pas sans éclaboussures : les œuvres dévoilent les détails de vies, la touche transcrit des états d'âme. Nos yeux se perdent dans les formes d'œuvres exposées que l’artiste essaie de dompter en prenant, avec nous, de nombreux risques. Les douleurs humaines prennent ainsi une nouvelle identité sous des formes plurielles. Félicité Codjo personnalise les épisodes douloureux de la vie en leur créant des espaces d’existence et d’expression, comme de petites maisons(3) qui deviennent des sanctuaires de dignité.

Les traits capturent l’impossibilité de s’exprimer, la main, quant à elle, ne fait qu’un avec la matière, l’émotion et l’humain. L’artiste touche de ses doigts la souffrance des autres dans l’espoir d’y attraper la sienne, dans la couleur, les ombres et la lumière. Par le mouvement et les contrastes, les images prennent une allure cinématographique.

Les œuvres prennent possession de l’espace qui leur est offert. Félicité Codjo travaille d’ailleurs cette conscience de l’endroit, que cela concerne l’espace d’exposition ou son lieu de production et de création qui fait figure de cocon, de replis et de déblocage émotionnel. Le lieu d’exposition est une ouverture sur les blessures, réceptionnées par le public qui, en territoire inconnu et en chute libre(4), n’aura que la lecture visuelle pour accéder à la pensée de l’artiste, tout en se confrontant à ses propres ressentis. C’est un mouvement ascendant et descendant à la fois, une sensation qui enferme et libère successivement reprenant la métaphore du corps comme prison des peurs.

“Quand on pense à la façon dont les gens racontent les histoires, les histoires sont portées par le corps et sont éditées à chaque fois que la personne les raconte (...) (5)

Cette manière de retranscrire, cette énergie est intrinsèquement liée aux émotions ressenties sur un temps précis. Félicité Codjo laisse son corps s’exprimer comme l’hôte de ses émotions, il devient alors véritable témoin, auteur et acteur de ses œuvres. Elle parvient à articuler le dehors et le dedans, dans un langage clair et précis, articulant son monde à celui des autres. La transparence y est primordiale, c’est elle qui nous portera vers la guérison.

Ce voyage proposé est l’un des plus complexes à réaliser, il effraie, par sa longueur et la douleur qu’il provoque. Portant, au détour d’un virage, l’espoir nous y attend, tapis dans l’ombre. Le poids étouffant de la société devient alors plus léger, les dos s'allongent, les postures se redressent, la dignité est retrouvée. Félicité Codjo évoquent les restes d’un rêve étrange : elle facilite la relation entre identité et douleur humaine. Artiste, art-thérapeute, humaine, Félicité Codjo nous chuchote :

“Même si vous êtes dans un espace plein d’épines, faites-en quelque chose de beau.”

Texte de Lorry Basana et Tabara Korka Ndiaye

NOTES

(1) Mildred Kicongo Barya, “For Those Who Grow Tired Of Waiting” in Give Me Room to Move My Feet, édition Amalion, 2009, traduction libre.
(2) David Wagoner, Lost, magazine Poetry, 1971, traduction libre
(3) Laura Villarreal, My worries have worries, poème lu par Pádraig Ó Tuama dans Poetry Unbound, 2022 .
(4) Clémentine Deliss,“Chute libre Arrêt sur image De l’Afrique, des expositions et des artistes”, 1994, in Art contemporain africain : histoire(s) d'une notion par celles et ceux qui l'ont faite 1920-2020, JRP Editions, 2021.
(5) Pensée théorisée par Ocean Vuong en conversation avec Krista Tippett, Mars 2020 sous le titre de A Life Worthy of Our Breath

 

félicité codjo

Félicité Codjo a une passion pour le dessin dès l’enfance. Après avoir obtenu un baccalauréat littéraire au Bénin en 1977, Félicité poursuit des études universitaire de 1978 à 1980 à la faculté des lettres, section anglais, de l’Université du Bénin à Cotonou. Elle occupe ensuite un poste de secrétaire dans une agence de vente de tabac.

De 1985 à 1987, elle effectue un apprentissage de la peinture dans un atelier à Lomé au Togo.

Arrivée et installée définitivement à Dakar en 1987, Félicité participe la même année à une exposition panafricaine. Elle participe aux premières éditions de la Biennale de Dakar en 1990 et 1992. A partir de 1994, elle participe à une série d’exposition collective au Sénégal et à l’étranger. Elle fait notamment parti de la sélection IN de la Biennale de Dakar en 2002. Elle découvre l’artthérapie en 2004 et intègre l’équipe d’animation d’atelier d’art thérapie à destination des patients du service de psychiatrie de l’Hôpital Principal de Dakar. Les oeuvres des patients sont sélectionnées et exposées lors du OFF de la Biennale de Dakar en 2006 (…)

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