Interview | Oumar Ball & emmanuel tussore

En avril 2023, Oumar Ball et Emmanuel Tussore ont effectué une résidence d’artiste commune à Nouakchott. Entre le lieu de résidence de Oumar Ball, les rues de la capitale et le désert, les artistes ont mené plusieurs travaux de recherches restitués aujourd’hui dans l’exposition Weeyo (Oumar Ball) mais également la project room Birdhouse (Emmanuel Tussore).

© Oumar Ball & Emmanuel Tussore, 2023, vidéo, 120min


Pour rappel, vous vous connaissez depuis quelques temps maintenant, pouvez-vous revenir sur l'histoire de votre rencontre ? 

Emmanuel Tussore : Nous nous sommes rencontrés durant la Biennale de Dakar en 2016. Nous participions alors à l’exposition collective Enchantements - Mers Mortelles à la Galerie Atiss. Oumar y présentait L’Envol, une installation représentant une nuée d’oiseaux de tous horizons tourbillonnant dans les airs. J’étais fasciné par l’élan poétique de cette dance céleste réalisée simplement avec du fil de fer. Elle opérait comme un vortex enchanté qui me transportait par-delà les frontières de la galerie vers un endroit lumineux, intemporel et libre, loin du monde des humains. De mon côté, je présentais l’installation vidéo Sirènes tournée en 2015 à Thiaroye-sur-mer, en banlieue de Dakar. Le projet faisait écho au sujet difficile de l’émigration de celles et ceux qui quittent cette rive par la mer. Un départ filmé en plan séquence depuis la plage. On y voit des femmes et des hommes de dos marcher lentement vers l’horizon, pénétrer dans les flots jusqu’à y disparaitre un à un. C’est justement à l’horizon, entre ciel et mer, que Oumar et moi nous nous sommes vraiment rencontrés, puisque nos œuvres parlaient chacune à leurs manières de Liberté.

Comment s'est déroulée la cohabitation et création commune de cette œuvre ?

Emmanuel Tussore : Oumar nourrissait depuis longtemps le désir de filmer ses sculptures. Je comprenais alors qu’il ne s’agissait pas de les documenter à travers leurs présences sculpturales, ou de produire des images d’archives pour étayer un catalogue d’artiste déjà bien fourni, mais bien de révéler autre chose à travers la vidéo. Nous cherchions ainsi à nous éloigner du volume pour nous rapprocher du fil de fer par sa présence graphique, proche de l’estampe. Nous avons ainsi fabriqué un mobile géant sur lequel suspendait les oiseaux. Puis, en le faisant tourner lentement sur son axe, nous nous sommes amusés à les éclairer à la torche de nos téléphones portables. Ce travail ludique et artisanal fut réalisé dans la plus grande simplicité, sans artifices numériques. De ce théâtre d’ombres est né « Weeyo », ce qui signifie “*en apesanteur”.

Oumar Ball : A la base on savait ce qu’on voulait faire, en même temps il fallait se laisser aller avec la création et surtout en écoutant les processus de l’œuvre, car l’artiste tout seul ne peut pas décider à 100% sur le devenir d’une œuvre car l’œuvre elle-même a son mot à dire sur son propre devenir. Je vous raconter par exemple une petite anecdote, un soir après la rupture du jeûne, Emmanuel a sorti sa caméra et son ordinateur pour qu’ont puissent visionner une par une les séquences des vidéos prisent lord de la journée. Soudain il met une vidéo que nous étions en train de regarder en mode pause et me dit écoute “Oumar vraiment l’arrière plan des vidéo me dérange”, puis quelques minutes après nous avons compris que cette effet auquel on ne s’attendait pas nous proposer quelque chose de très intéressant concernant cette œuvre en cour. C’est ainsi qu’un dialogue d’harmonies est nait naturellement entre cette œuvre intitulé Weeyo et les autres œuvres qui seront à l’exposition Weeyo qui aura lieu bientôt à OH Gallery.

 
 
 

Comment est né le projet de faire cette résidence de quelques semaines à Nouakchott et pourquoi ? 

Emmanuel Tussore : Quand Oumar m’a proposé la création commune d’une oeuvre vidéo, je lui ai fait part de mon désir de de rester à Nouakchott quelques semaines supplémentaires pour y effectuer des recherches en vue d’un projet d’exposition. Il se trouve que mon séjour coïncidait avec le Ramadan. Un temps singulier pendant lequel la société musulmane est au ralentie, les gens se tournent vers leurs familles, cultivant de puissants mondes intérieurs, et où les corps eux, sont confrontés à une extrême résilience. C’est précisément ce contexte qui m’intéressait. Je souhaite aujourd’hui explorer les nourritures substantielles du Corps et de l’Esprit – une démarche cathartique gravitant autour de l’essentiel.

Oumar, pourquoi avoir choisi Emmanuel pour réaliser l'une des œuvres qui sera dans ta prochaine exposition à la galerie ?

Oumar Ball : Avant d’être un ami Emmanuel est tout d’abord un artiste polyvalent dont je suis un grand admirateur, et la vidéo fait partie d’un des medium qu’il se sers beaucoup dans sa création, en tant qu’artiste qui travaille sur le thème du mouvement je trouve que cette œuvre est comme une continuité de mon œuvre. C’est comme si je voyais mes sculptures planer dans le weeyo en suite s’évaporer discrètement dans l’espace comme un dessin qui se manifeste sur un papier ou d’une toile. J’avais surtout un fort besoin de saisir l’opposée de ma sculpture volumineuse réalisé à base de la taule rouillé comme les vautours les hyènes toutes ces imposantes créatures terrestres, 

Ce moment de résidence a était une belle expérience d’échanges artistique et humaine, Je profite de l’occasion pour dire un immense merci à Emmanuel d’avoir accepté mon invité et venir dans mon pays en Mauritanie. Vive l’amitié et vive l’Art !

 

Comment s'est organisé la résidence et vos journées respectives ?

Emmanuel Tussore : Nous nous retrouvions chaque soir chez Oumar juste avant la rupture du jeûne. Nous échangions alors sur nos trajectoires journalières, nos errances, nos frustrations, et nos épiphanies. Nous partagions ensuite un bon dîner en famille. La répétition quotidienne de ce rituel tout au long de mon séjour, ainsi que les gestes qui l’accompagnent furent pour moi des moments clés. J’ai beaucoup observé ces mains qui allaient et venaient en silence au contact de la nourriture, depuis le cercle sacré de l’assiette aux bouches engourdies. La question du territoire dans un plat commun, avec en filigrane la lecture des rapports entre membres d’une même famille, ou d’une communauté toute entière, ainsi que les symboliques qui y sont associées furent des axes de recherches importants durant cette résidence. Une part de notre identité se révèle à la manière dont on se nourrit

Emmanuel, qu'est-ce qui t'a le plus marqué sur cette expérience de Nouakchott et de la Mauritanie ? Avais-tu des attentes ou des idées particulières avant le voyage ?

Emmanuel Tussore : La Mauritanie est le carrefour occidental du Monde Arabe et de l’Afrique Subsaharienne. Géographiquement, son territoire fonctionne à la fois comme frontière, mais aussi et surtout comme un pont entre plusieurs cultures. Ce qui m’intéresse, c’est l’immense métissage qui en découle. J’ai l’intention d’y effectuer d’autres voyages pour approfondir mes recherches autour des cultures de la mobilité chez les Maures et les Peuls.

 

a propos


Oumar Ball

Artiste mauritanien, Oumar Ball est né en 1985 à Bababé, dans la région du fleuve Fouta Tooro. D’abord élevé par sa grand-mère, il s’installe par la suite à Nouakchott avec sa famille, Il a alors 12 ans. Il grandit au côté d’un père peintre et photographe dont il suit rapidement les pas. Dès ses 9 ans il approche la sculpture, pour s’engager plus sérieusement dans une voie picturale autour de ses 15 ans.

Ses recherches oscillent entre figuration et abstraction.

Plus d’informations

Emmanuel Tussore

Emmanuel Tussore (1984) s’intéresse à la notion de déplacement et bouscule l’idée même de frontière. Il mène une recherche plastique pluridisciplinaire hantée par la notion d’effacement et son contraire, la possibilité d’une renaissance, à la lisière du visible et de l’invisible. Il se nourrit de l’histoire et de l’actualité pour proposer sa vision d’un monde tragique, entre réel et imaginaire, profane et sacré.

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