Interview | Aliou Diack, avril 2023, par Idil H. Samatar


 

Lâ ilaha ilâ Allâh, qui signifie en arabe qu’il n’y a nulle divinité qui ne mérite l’adoration si ce n’est Allah, est une expression qui a de l’importance pour l’artiste Aliou Diack. Il s'agit d'une déclaration faite par les adeptes de la foi islamique. Chez les Mourides, qui sont une confrérie soufie au Sénégal, cette phrase est consommée spirituellement sous forme de répétition appelée zhikr. Par une conversation vulnérable, Diack nous a permis d’entrer dans ses pratiques spirituelles.

“La ilaha illallah”, meaning there is no God but Allah in Arabic, is a phrase that carries importance for the artist Aliou Diack. This is a declaration stated by adherents of the Islamic faith. Among the Mouride, who are a Sufi brotherhood in Senegal, this phrase is consumed spiritually in the form of repetition called zhikr. Through a vulnerable conversation, Diack allowed us entry into his spiritual practices.


 
 

Diack se méfie souvent des personnes avec qui il choisit de discuter de ses croyances spirituelles, et nous avons été honorés qu'il se sente à l'aise de partager cette part intime de sa vie avec nous. Un jeudi soir, Diack est entré dans OH Gallery avec son chapelet autour du cou, et il a partagé avec nous la vision de son exposition à venir : Lux mea lex. Alors que nous nous asseyions pour une entrevue, nous avons immédiatement abordés le sujet de la spiritualité et de sa foi. Au Sénégal, la majorité de la population est musulmane, et beaucoup sont membres des confréries soufies : Mouride, Tidiane, Khadre.

Diack is often wary with whom he chooses to discuss his spiritual beliefs, and we were honoured that he felt comfortable sharing this sacred part of his life with us. On a Thursday evening, Diack walked into OH Gallery with his prayer beads around his neck, and he shared with us the vision of his up and coming exhibition: Lux mea lex. As we sat down for an interview, we immediately delved into the topic of spirituality and his faith. In Senegal, the majority of the population is Muslim, and many are members of the Sufi brotherhoods: Mouride, Tidjane and Khadre.

« Je suis un Mouride mais le Mouridisme est quelque chose de complexe... on dit Mouridoulahi : celui qui aspire à Dieu. Celui qui veut rencontrer Dieu. Ainsi, le mouridisme est une voie. C'est la voie qui vous amène dans la pièce, dans le royaume du divin. Et j’ai dit : Je suis un Mouride parce que j’ai traversé le chemin du Mouridisme pour atteindre le Soufisme. »

“ I am a Mouride but Mouridsm is something that is complex ... we say Mouriddoullahi which means the one who wants God. The one who wants to meet God. So, Mouridism is a way. It is the way that brings you into the room, into the kingdom of the divine. And I said, I am a Mouride because I went through the way of Mouridism to attain Sufism.”

Vous avez dit que vous vous sentez soufi, et vous vous sentez aussi Mouride mais êtes-vous Baye Fall (un sous-groupe des Mourides) ?
You said you feel sufi, and you feel Mouride but I was wondering, are you Baye Fall (a subgroup of the Mouride)?

Je peux dire que je suis Baye Fall. Baye Fall est le Mouride qui sait ce qu’il veut faire. D’abord, vous devez être un Mouride, puis Baye Fall est la fonction d’un Mouride. L’acte de se purifier tout le temps, l’acte de faire zikr, l’acte de s’abaisser devant vous, d’être le plus humble.

I can say that I am Baye Fall. Baye Fall ... is the Mouride who knows what he wants to do. First, you have to be a Mouride, and then Baye Fall is the function of a Mouride...The act of purifying oneself all the time, the act of doing zhikr, the act of lowering oneself before you, of being the most humble.

 
 
 
 

Comme Diack est connu pour utiliser des pigments naturels et des représentations animales, le processus de pensée derrière ces choix a une signification beaucoup plus spirituelle que ce qui était connu avant.

As Diack is known for using natural pigments and animal motifs, the thought process behind these choices has a much more spiritual significance than what was known before.

Vous avez utilisé beaucoup de pigments naturels de votre village. Ce choix est-il aussi spirituel ?you used a lot of natural pigments from your village. Is that choice also a spiritual one?

Pas seulement mon village, mais d’autres endroits aussi. Par exemple, le genre de plante que j’utilise, nos ancêtres utilisaient le même genre de pigment. Pour connaître ce genre de pigment, et pour savoir quel arbre peut vous donner ce genre de médecine, vous devez avoir une certaine connaissance de la nature. Cela nécessite également une pratique spirituelle, pour comprendre comment regarder un arbre. Il y a deux façons de regarder l'arbre, ce que vous voyez sur l'arbre n'est pas le même que ce que voit le chaman. Vous pourriez juste voir un bel arbre mais quand le chaman vient à l'arbre, il peut communiquer avec l'arbre, il peut demander à l'arbre.

“Not only my village, but other places as well. For example, the kind of plant I use, our ancestors used to use the same kind of pigment. In order to know this kind of pigment, and to know which tree can give you this kind of medicine. You have to have some knowledge about nature. This also needs some spiritual practice, to understand how to look at a tree. There are two ways to look at the tree, what you see on the tree is not the same as what the shaman sees. You might just see a beautiful tree but when the shaman comes to the tree he can communicate with the tree, he can ask the tree.”

 

Océane Harati (directrice de la galerie) a mentionné que « Aliou est une sorte de chaman dans sa façon de peindre. Ses parents sont des agriculteurs, et Aliou travaille comme un agriculteur lorsqu’il travaille sur le sol. Les gestes sont comme ceux de son chapelet de prière qui suivent tous les deux le modèle de la répétition. »

The director of the gallery Océane Harati mentioned that “Aliou is a kind of shaman in the way he paints. His parents are farmers, and Aliou works similarly to a farmer when he works on the floor. The gestures of the paint strokes are like the ones of his prayer beads who both follow the pattern of repetition.”

Ma façon de travailler est comme celle de l’agriculteur. Vous mettez les semences et vous attendez de trouver quelque chose. Vous ne contrôlez pas ce qui arrivera et ce que vous trouverez. Parfois, vous mettez des cacahuètes, mais d'autres choses poussent avec les cacahuètes comme de petites plantes, et vous ne pouvez pas décider dans quel sens la plante va pousser. Mon travail est comme ça. Je suis quelqu'un qui cherche quelque chose, mais je ne sais pas ce que je cherche. Je sais que je vais trouver quelque chose. Et l’idée au début est que je cherche quelque chose. Pas quelque chose que je connais vraiment, mais quelque chose comme une nouvelle couleur. Pour moi, quelque chose de nouveau existe, et quelque chose que les gens n'ont jamais découvert existe dans cette vie

“How I work is just like how the farmer works the land. You put the seed and you wait until you find something. You do not control what will happen and what you will find. Sometimes you put peanuts, but other things will grow along with the peanuts like little plants, and you cannot decide which way the plant will grow. My work is like this. I am someone who searches for something, but I do not know what I am searching for. I know that I will find something. And the idea in the beginning is that I am searching for something. Not something I really know, but something like a new colour. For me something new exists, and something that people never discovered exists in this life.”

Diack appartient à un daara, qui est un groupe spirituel qui se réunit pour pratiquer le zhikr ou simplement pour discuter les sujets de la vie. De ce groupe, il s'est connecté avec des gens qu'il appelle ses amis spirituels. Fait intéressant, Diack explique que lui et ses amis spirituels voient ses peintures sous un jour similaire. Déclarant qu’ils perçoivent tous les mêmes complexités dans ses peintures en raison de leur foi partagée et de leur voyage spirituel. Ainsi, les personnes connectées par la foi soufie voient au-delà des animaux présentés dans les œuvres de Diack.

Diack belongs to a dara, which is a spiritual group who meet to practise zhikr or to simply discuss the topics of life. From this group, he has connected with people who he calls his spiritual friends. Interestingly, Diack explains that he and his spiritual friends see his paintings in a similar light. Stating that they all perceive the same complexities in his paintings due to their shared faith and spiritual journey. Thus, the people connected through the Sufi faith see beyond the animals presented in Diack’s works.

Quand je vois les animaux, peut-être que je n’ai pas la même vision, peut-être que je vois d’autres choses. Mais je ne peux pas dire. Les gens qui sont dans la voie soufie comprennent. Les soufis au Sénégal, en Thaïlande et au Maroc comprennent, ils ont les mêmes connaissances. La lumière est ma loi et la lumière est ma foi, les vrais comprennent. Grâce à la lumière, vous voyez la peinture et le détail de tout. C’est la loi de la lumière, et avec la lumière, vous voyez la vérité, vous voyez la réalité.

“When I see the animals, maybe I do not have the same vision, maybe I see other things. But I cannot say. People who are in the Sufi way understand. Sufis in Senegal, Thailand and Morocco understand... they have the same knowledge. La lumière est ma loi et la lumière est ma foi, the light is my law and the light is my faith. The real ones understand. Because of the light you see the painting and the detail of everything. C'est la loi de la lumière, it is the law of the light and with the light you see the truth you see the reality.”

 
 

AgiT’art

© Océane Harati
Cours du laboratoire Agit’Art le 08 décembre 2016 avant l’ouverture de l’exposition dans le cadre du Partcours
Exposition La cloche de fourmis durant la Biennale de Dakar en 2018.

 

© Océane Harati, portrait de Joe Ouakam (Issa Samb) le 08 décembre 2016, juste avant l’ouverture de l’exposition présentée dans la cours de Agit’Art dans le cadre du Partcours.

L’artiste Joe Ouakam ou Issa Samba a créé un collectif du Laboratoire Agit’Art en 1974, où des artistes et d’autres personnes aux points de vues similaires pouvaient se réunir et discuter de différents sujets comme la culture, l’art et la politique. Le jeune Diack, était l’un des derniers à devenir membre de ce collectif.

The artists Joe Ouakam (Issa Samb) created the collective Laboratoire Agi d’art in 1974, where artists and other like-minded people could congregate and discuss different topics such as culture, art and politics. A young Diack, was one of the last people to become a member of this collective.

Quand es-tu devenu un membre de Agit’art ?
When did you become a member of Agit’art?

Je ne sais pas, après l'école (Beaux arts) j'y allais à chaque fois. Mais le jour où Joe Ouakam a décidé que j’en étais membre, c’était deux ans avant sa mort en 2015. Agit'Art est un projet humain, notre projet c'est l'homme. L'idéologie d'Agit 'Art est de rendre les gens parfaits.

“I don't know, after school I used to go there every time. But the day Joe Ouakam decided I was a member was two years before he died in 2015. Agi d'art is a human project, notre projet c'est l'homme. The ideology of Agi d'art is how to make people perfect.”

Comment était-ce organisé, aviez-vous des réunions, des expositions collectives ?

How was it organised, did you have meetings, group shows?

Agit 'Art a été créé par Joe Ouakam et Djibril Diop Mambety et d'autres. Au début c'était un laboratoire dans lequel les gens se rencontraient et discutaient de tout comme les problèmes économiques, la politique, la culture, ... Agit‘Art n’était pas que des peintres. Agit’Art avait une hiérarchie, c’était Joe qui était le mentor et Ican Ramagelli qui était le commissaire. Ma première exposition avec Agit'Art était à la Galerie Manège (Institut Français). Joe voulait faire une exposition sur l’avenir, mais il est décédé juste avant. Agit' Art est une organisation qui était hyper carrée, on a toujours travaillé ensemble et s'est entraidé.

Agi d'art was created with Joe Ouakam and Djibril Diop Mambety and others. In the beginning it was a laboratory in which people meet and discuss everything like economic problems, politics, culture ... Agi d'art was not only painters. Agi d’art had a hierarchy, it was Joe who was the mentor and Ican Ramagelli who was the commissioner. My first exhibition with Agi d'art was in Galerie Manége. Joe wanted to do an exhibition about the future, but he passed away right before. Agi d'art is an organisation that was hyper carré, we always worked together and helped each other.”

 
 

À PROPOS


 

IDIL HUSEIN SAMATAR

Idil Husein Samatar est étudiante en master d'études africaines à l'université de Leiden, aux Pays-Bas. D'origine somalienne, elle est née et a grandi en Norvège, avant de s'installer aux Pays-Bas pour poursuivre ses études. Titulaire d'une licence en études internationales, elle souhaitait en savoir plus sur les affaires, l'histoire, la culture et les arts africains. Elle a donc entamé une maîtrise en études africaines, ce qui l'a amenée à se rendre à Dakar pour effectuer des recherches dans le cadre de son mémoire de maîtrise. Elle effectue actuellement un stage de recherche à la galerie OH depuis février, et se passionne pour les projets de recherche liés à l'art et à la culture africains.

 

NIANGA DIOUF

Nianga Diouf est un jeune professionnel du patrimoine culturel titulaire d'un master en gestion du patrimoine et des institutions culturelles. Après son baccalauréat, il fut orienté vers la section “Les métiers du patrimoine” de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal.

Sa formation polyvalente lui a permis de posséder une expertise sur plusieurs domaines. Avant de début au sein de OH GALLERY comme assistant de galerie en 2022, Nianga est passé par plusieurs institutions et dispose d'expériences professionnelles diverses. 

Il projette aujourd'hui de faire une carrière de recherche dans l'étude du patrimoine en Afrique, son développement et son devenir. 

 
 
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