Lux mea lex

ALIOU DIACK
13 MAI - 22 JUILLET 2023

OH GALLERY, DAKAR

avant propos

 

Après sa dernière exposition à Art Basel en juin 2022, Aliou Diack prend à nouveau possession de l’espace de la galerie pour y dévoiler de nouvelles œuvres. Dans un tournant artistique certain, l’exposition Lux mea lex permet de revenir sur sa carrière artistique, y apportant de nouvelles lectures, de nouvelles voix : 

“Maintenant j’ai confiance en toi, je peux te dire les choses.” (1) 

Ces mots, prononcés par l’artiste, dévoilent un horizon jusqu’ici inédit. La confiance, vecteur de vérité, vient s’incruster dans la matière des pièces exposées. 

 

PRÉsentation

par Lorry Besana,
Nianga Diouf,
Idil Husein Samatar

 

ENTRE CROYANCES ET SPIRITUALITÉ 

Les œuvres d’Aliou Diack sont rythmées par la matière, les pigments et les présences animales. Pourtant le lien entre la spiritualité et son art dépasse les formes matérielles et n’a jusqu’à lors jamais été abordé. 

Certains considèrent l'Art et la Religion comme deux entités distinctes, même si elles ont coexisté dans toutes les sociétés au cours de l'histoire. La plupart de celles-ci ont mis en place un système de croyances et de travaux artistiques pour donner vie à leur foi. La religion a souvent été exprimée par des sculptures, des poteries, des peintures et même des textiles. La création sur le continent a souvent permis d'évoquer les conditions de la vie humaine sans pour autant produire des formes qui illustrent ou représentent des êtres individuels (2). En ce qui concerne la religion, le Sénégal est un cas d'étude intéressant : le pays est composé d'une population majoritairement musulmane, avec plus de 90 % d'adeptes et d’une minorité chrétienne, vivant en parfaite harmonie. De multiples croyances animistes existaient et se sont mêlées aux deux religions monothéistes (3). Ce concept est appelé homo religiosus senegalensis par Dr Serigne Sylla, qui se traduit comme un " un être hybride dans la mesure où son identité est en oscillation entre deux réalités religieuses contraires : l’Islam et la tradition our le Christianisme et la tradition. Il sera alors difficile de tracer une ligne de démarcation entre la tradition et la religion dans les rituels de la vie quotidienne des sénégalais-ses. Donc ces deux traditions, bien qu’étant conflictuelles, ne parviennent pas à être séparées. Ce qui fait voir une certaine ambiguïté dans leurs relations.” (4). Cette frontière est poreuse et c’est ce syncrétisme religieux qu’Aliou Diack révèle dans ses travaux . L’artiste suit la foi islamique, appartient à l'ordre soufi des Mourides mais adhère également aux pratiques traditionnelles.

Dans de nombreuses sociétés africaines, on croit que les masques et autres objets d'art ont la capacité de projeter ou de repousser des forces mystiques (5). Dans les œuvres d’Aliou Diack, ces objets peuvent inclure des ingrédients naturels ou prendre la forme d'animaux : dans son processus créatif, il traduit sa spiritualité et son lien avec la nature à travers l'utilisation de pigments provenant de plantes souvent utilisées à des fins médicales par les chamans traditionnels. Ils proviennent de sa ville natale mais aussi d’autres villages et pays comme le Mali. Leurs préparations se transmettent de génération en génération. Par ce processus, l’artiste se considère lui-même comme un élément spirituel de la nature, un parmi des milliards d'autres. Ces pratiques peuvent être liées à des questions religieuses, mais ce n’est pas toujours le cas. Cependant dans les oeuvres d’Aliou Diack, l’Islam tient une place essentielle. 

La plupart des adeptes du Soufisme sont membres d'un ordre. Les principaux au Sénégal sont : Mourides, Tidianes, Khadres, Layènes. La plus influente sur le territoire est la confrérie Mouride. L'utilisation et les références à l'Islam dans la création est souvent le fait des adeptes de l'ordre Mouride, qui suivent les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. La confrérie utilise la calligraphie, les peintures sous-verre, la poésie et la peinture. Pour Aliou Diack, ses convictions s'expriment d’une manière plus discrète même si pendant sa formation à l’École des Beaux Arts de Dakar, il pratique l’art de la calligraphie à la mosquée de Darou Cissé de Passy et à l’école coranique Serigne Saliou de Diourbel. Certains artistes mourides quant à eux reproduisent souvent des images de marabouts considérés comme des guides qui occupent aujourd'hui le rôle des chefs spirituels locaux à l'époque préislamique (6). D'où l'utilisation récurrente de la célèbre photo de Bamba. 

Aliou appartient à un groupe appelé daara (7) guidé par un marabout. Il se connecte à lui afin d'être guidé sur sa voie spirituelle, ce qui influence ses créations artistiques. En dehors de son daara, ses œuvres pourraient paraître assez éloignées de “l'art islamique traditionnel", cependant, Aliou Diack s'attarde sur la retranscription d’un cheminement spirituel proche des croyances soufies. Lors de la réalisation de ses travaux, il récite régulièrement le zikr (8) qui consiste à répéter la ilaha illallah, ce qui signifie "il n'y a pas d'autre dieu qu'Allah", normalement pratiqué en groupe ou seul avec un chapelet de prières. Sa manière répétitive de peindre traduit le recours à ces pratiques : semer les pigments sur la toile comme le ferait un agriculteur, ou encore dans les gestes liés à la prière avec un chapelet. À sa façon l’artiste intègre les pratiques mystiques du soufisme et exprime ses croyances spirituelles.

Dans ses formes et ses gestes réside ainsi cette tension permanente qui puise ses racines dans une tradition mouride : se connaître soi, comprendre ce qui nous entoure, marcher vers la connaissance en délaissant la temporalité et les certitudes. 


LA LUMIÈRE EST MA LOI

Le titre de l’exposition, Lux mea lex* (9), est une affirmation lourde de sens. Cette devise est inscrite à l’Université Cheikh Anta Diop et Senghor en est à l’origine. Par analogie, nous vient alors une autre affirmation : “God is my law”, mot d’ordre pour les fidèles catholiques, où la lumière se voit également attribuer le rôle de guide.  C’est dans l’opposition et la résonance des sens que les figures prennent forme. La religion et la foi viennent côtoyer la connaissance et l’éducation. Accueillir la lumière serait alors une manière d’accéder à l’essence même du sensible et de la spiritualité. En révélant les conflits qui subsistent pour atteindre une liberté totale, au-delà du corps et de la matière. 

Aliou Diack se dévoile et met en lumière des sens cachés dans sa pratique artistique. L’ensemble des héritages, des mémoires et des pratiques viennent se mêler à la question du devenir contemporain du pays, de l’Afrique et du monde. L’exposition Lux mea lex est une affirmation qui ne peut être dissociée de son sens premier : la revendication du droit à la connaissance et à la liberté. On perçoit dans cette phrase également un besoin de soutenir des philosophies naissantes qui tendent vers de nouvelles manières de croire, de penser et de construire. Des racines érigées dans le passé et dans la tradition, Aliou Diack en tire de nombreux liens avec l’histoire contemporaine du Sénégal. Comme en témoigne l’installation The Bed of life (2020 et 2021) une référence directe à l'urbanisme et à la problématique de l’habitat au Sénégal, qui vient trouver un écho dans la crise étudiante de mai 1968 (10) et les manifestations de 2015 (11) et 2018 de l’accès à des logements décents et à la connaissance. Par la poésie et la fragilité, la violence des revendications trouve elle aussi une place dans l’univers d’Aliou Diack. Les formes, les couleurs et les pigments sur les toiles de l’artiste se retrouvent traversés par l’Histoire, devenant des échos politiques forts, où la dualité appelle l'émancipation des corps et des esprits. Aliou s’investit ainsi auprès d’artistes et de penseurs de son temps ou ayant marqué l’Histoire.

CONSTRUIRE PAR LES LIENS 

En 2015, Aliou rejoint le laboratoire de pensée et de création Agit’Art. Le projet se base sur l’humain. Dans les années 70, ces groupes d’artistes, d’écrivains, d’acteurs, d’activistes et de philosophes engagés, remettaient en question l’écriture artistique guidée par l’idéologie de la négritude. Ce cadre institutionnel existant autour de la création artistique se matérialisait par l’École de Dakar et le patronage gouvernemental, bloquant, ainsi, la créativité. Cette contestation populaire de l’art institutionnalisé va aboutir à la création, en 1974, du laboratoire d’improvisation artistique baptisé Agit’ Art. 

L’objectif d’Agit’ Art était de bousculer ce patronage senghorien en encourageant les artistes à adopter de nouvelles approches et à développer de nouvelles expressions collaboratives fondées sur le brassage entre la tradition africaine et l’esthétique moderne. Selon le laboratoire, l'Artiste doit d’abord résister aux formes et idées étrangères initiées par le gouvernement et renouer avec les matériaux et les modes de production traditionnels, par l’utilisation de pigments naturels et de matières symboliques, mais aussi dans les installations qui investissent les lieux publics. À ces dernières, Aliou n'a de cesse de participer. Véritables signatures d’Agit'Art, elles contribuent à l’héritage du collectif. Ce mouvement, indépendant de toute influence politico-institutionnelle, a survécu à toutes les mutations politiques et sociales, pourtant secoué, malmené et déconsidéré, en se recréant en permanence. Et c’est cette mouvance qui s’impose dans la démarche d’Aliou Diack : questionner, intervenir et construire, graver le présent et les évolutions actuelles du pays et des sociétés. Comment retenir le passé lorsque même le présent semble nous échapper ? Par la trace qui doit se faire témoin du passé et ouvrir sur de nouvelles possibilités futures. 

Aussi, Aliou inscrit paradoxalement ses travaux dans l’héritage politique de la pensée de Senghor et de celle de Cheikh-Anta-Diop, par les évènements qu’elles invoquent et la lecture contemporaine qu’elles induisent. Du passé, des origines, de l'immatériel et de la croyance qui illuminent le chemin de l’artiste, ce dernier rejoint l’avenir, observant les contours d’un monde qui ne cesse de se transformer par l'émergence et le maintien d’une nouvelle pensée de l’africanité Le retour à l’essentiel est prôné. Le lien entre la spiritualité, la société et ses combats est indéfectible. Les études de Felwine Sarr (12) entrent ainsi en résonance avec les travaux de l’artiste : l’Afrique s’inscrit dans un renouveau, elle est créatrice de ses propres idées. Imaginer une modernité sénégalaise indépendante de la modernité occidentale et française est une construction de longue haleine sur de nombreux plans. Les nombreuses traditions et croyances qui y sont associées doivent être pensées autrement que comme des obstacles, elles sont reflets de civilisations plurielles qui interagissent les unes avec les autres. L’évolution sociale et économique se base sur les qualités relationnelles fortes du pays. La tradition, l’humain et la modernité résident sur un même pied d’égalité. 

Narrer ces histoires, qu'elles soient longues, anciennes, pour certaines oubliées ou inconnues, permet de mettre en lumière ces liens et leur constance. De moi à l’autre, aux inconnus qui ne sont qu’un autre moi. De l’humanité aux insectes, à la nature et aux formes de vies à la fois différentes et si proches de nous.

“Si une génération doit se sacrifier pour l’autre, ce sera la nôtre” (13) 

Être le liant entre ce qui a été et ce qui deviendra est un poids des plus complexes à porter. Cela demande d’observer le monde avec innocence et connaissance, de délaisser ses certitudes en gardant son héritage en mémoire. Aliou Diack a fait le choix de plonger au cœur des paradoxes qui maintiennent la société sénégalaise. 



notes

  1. Propos d’Aliou Diack tirés d’une interview datant d’avril 2023 avec Océane Harati et Idil Samatar Hussein.

  2. Hackett, 1994. 

  3. Bravmann, René Aaron. Islam and Tribal Art in West Africa. Cambridge University Press, 1974.

  4. Raw Material Company, Ibrahima Thiam, D’une rive à l’autre, 2020.

  5. Hackett, Rosalind, and Rowland Abiodun. Art and Religion in Africa. London: Bloomsbury Publishing, 1998.

  6. Shatanawi, Herman, Penner, Groot, Herman, Sam A, Penner, Lydia, Groot, Irene de, and Tropenmuseum Amsterdam. Islam at the Tropenmuseum. Arnhem: LM Publishers, 2014.

  7. Ici le daara est un groupe qui se concentre que sur l’enseignement spirituel, à ne pas confondre avec dahira qui est une association culturelle à but religieux

  8. En arabe se traduit par Dhikr qui signifie : allant dans le sens d’invoquer Allah et se souvenir de lui. Et en wolof on utilise le mot sikar

  9. Expression latine, qui peut se traduire par La lumière est ma loi.

  10. Le début de la révolution étudiante commence en octobre 1967, suite à des diminutions des bourses universitaires. Dans une politique sous l’UPS, l’Union Progressiste Sénégalaise, une grève générale des étudiants, lycéens et collégiens se déclare. 

  11. Pierre Goudiaby Atépa, Plus jamais ça, car ta devise doit être «Lux Mea Lex», Senego, 2015

  12. Amzat BOUKARI YABARA, Felwine Sarr, penseur de l’Afrotopie, Revue du Crieur, N°17, 2020.

  13. Propos d’Aliou Diack tirés de sa première rencontre en Juillet 2018 avec Océane Harati.

 

zhikr

Performance réalisée par des membres du Daara de Aliou Diack en présence de leur guide spirituel lors du vernissage de l’exposition Lux mea lex vendredi 12 mai 2023.

les Œuvres de l’exposition

À PROPOS


© Alun Be

Aliou Diack est né en 1987 à Sidi Bougou, dans la région de Mbour, à Dakar au Sénégal.

Enfant curieux, Aliou part à la découverte de la nature, des univers de la faune et de la flore. Il observe les proportions, les couleurs, les textures et enregistre tout ceci dans des carnets de dessins, qui lui servent de terrain d’entrainement. Pour poursuivre ses études, il quitte son village à 10 ans pour aller s’installer au cœur de Dakar. Il n’y retrouve pas la même nature ni la même liberté, et compense en dessinant « partout » autours de lui, de façon à recréer son univers.Il se lance dans des études d’art à l’Ecole Nationale des Arts de Dakar, où il sera amené à manipuler de multiples médiums et outils qui lui permettront d’augmenter son champs artistique et de maîtriser d’autres techniques que celle du dessin.

Major de sa promotion, Aliou se distingue des autres par la puissance visuelle de ses œuvres, sobres, mais à desquelles émane un univers naturel primitif et instinctif.Aliou Diack vit et travaille actuellement à Dakar, au Sénégal

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ALIOU DIACK