Interview | Oumar Ball

Oumar Ball est un artiste contemporain qui s’exprime par le dessin et la sculpture. Ses œuvres sont marquées par son enfance et ses origines entre le Sénégal et la Mauritanie. Pour mieux percevoir sa vision du monde et comprendre le fond de sa pratique artistique, nous lui laissons la parole, sur son enfance et sur son vécu.

 

“Aujourd’hui quand fais le lien entre l’histoire de mes ancêtres et mon œuvre, je me rends compte que nous sommes tous appelés à vivre librement”

 

À propos de Oumar ball

Artiste mauritanien, Oumar Ball est né en 1985 à Bababé, dans la région du fleuve Fouta Tooro. D’abord élevé par sa grand-mère, il s’installe par la suite à Nouakchott avec sa famille, Il a alors 12 ans. Il grandit au côté d’un père peintre et photographe dont il suit rapidement les pas. Dès ses 9 ans il approche la sculpture, pour s’engager plus sérieusement dans une voie picturale autour de ses 15 ans. Ses recherches oscillent entre figuration et abstraction.

« Sur cette immense territoire qu’était pour moi alors le village où je vivais, je trouvais des morceaux de métal de formes abstraites, du fil de fer aplati comme des écritures, des cartons ou plastique colorés, et je fabriquais des jouets. » Quels que soient les matériaux qu’il utilise, il y retrouve le plaisir du fil de fer qui dessine, du métal qui colore, de l’argile qui aquarelle. Au regard de ses œuvres, l’artiste prend la mesure de racines qui, à ce jour, inspirent toujours son travail. Le fil de fer reste la trame de fond d’ identité plastique de Oumar Ball. Avec cet outil, il assemble tôle ondulée et le métal recyclé dans ses sculptures aussi bien que ses peintures.

 
 
 

L’art est plutôt un moyen de vous isoler, de vous créer un cocon loin du monde ? ou bien d’entrer en contact de manière détournée avec ce qui vous entoure ?

Oumar Ball : “Au début, mes parents étaient étonnés et très dérangeaient par mon comportement d’enfant solitaire. Ils me demandaient souvent d’aller m’amuser avec les autres, mais c’est la création qui a toujours été ma meilleure amie, ma confidente. Il me suffisait de manier une matière qui me tombait dans les mains pour m’exprimer… La création a toujours été un cocon, un refuge pour éviter les problèmes : j’acceptais de fabriquer des petites sculptures pour les autres gamins, mais je restais dans mon coin, car j’étais bien comme ça.

Après avoir quitté Bababé, mon village natal, je suis arrivé à Nouakchott après le décès de ma grand-mère adoptive. Petit à petit, j’ai commencé à comprendre que je devais fournir beaucoup d’efforts pour sortir de mon coin, pour montrer mes œuvres et échanger autour d’elles. C’était étrange de faire face à des personnes qui voulaient tout savoir de moi en quelques minutes, mais en même temps, je me réjouissais beaucoup de cette chance.”

Quels sont les souvenirs d'enfance qui nourrissent votre pratique artistique et votre vision de l’art ?

Oumar Ball : “Au village, je ne savais même pas ce que voulait dire un “magasin fournisseur”, ce qui servait à matérialiser mes idées. À la fois, il n’y avait rien et à la fois il n’y avait absolument tout ! Ce fut un environnement de formation pour moi. Par exemple, il suffisait que je tourne la tête ou que je sorte de chez moi, que je ramasse un morceau de fil de fer ou un bidon en plastique et tac ! Je réalise l’idée qui me sort de la tête !

Donc ce rien était une grande richesse pour mon développement et aujourd’hui, j’utilise beaucoup cette philosophie dans ma pratique artistique.”

 
 
 

© Oumar Ball, archives personnelles de l’artiste

 
 
 

Grandir entre le Sénégal et la Mauritanie, sur une zone de frontière, est-ce que cela a eu un impact dans votre pratique ? 

Oumar Ball : “Cette histoire de frontière a immédiatement eu un grand impact dans mes questionnements. C’était plus difficile à comprendre, car je n’étais qu’un enfant à l’époque. Chaque famille dans mon village avait des liens de sang avec l’autre côté du quai, sans oublier le fleuve Sénégal, de Rosso qui va jusqu’au Mali.

Mon grand-père Oumar Ball (mon homonyme), était l’un des premiers employés de la banque BCEAO basé à Dakar, la nouvelle capitale après le NDar-guétch. Il était présent depuis la construction de la banque jusqu’à sa retraite. Il décida ensuite de rentrer au Fouta avec sa famille en laissant sa maison basée à grand-yof qui fut finalement vendu au début des années 2000 pour partage de l’héritage. Également certains de mes oncles (famille Ba) ont été les premiers à intégrer l’école coloniale à Dakar. Certains sont revenus au village après leurs études et d'autres ont finalement décidé de rester à Dakar jusqu’à aujourd’hui. Des personnes d’une même famille, pourraient-elles être séparées par un fleuve ?

Aujourd’hui quand fais le lien entre l’histoire de mes ancêtres et mon œuvre, je me rends compte que nous sommes tous appelés à vivre librement, n’importe où, là où le vent nous pousse à déployer nos ailes malgré les découpages.”

© Oumar Ball, archives familiale de Oumar Ball. Son père, Issa Ball, artiste dans son atelier, ainsi que des images avec parents et amis.

 

Votre père, qui était artiste, vous a certainement influencé vers la création, était-ce bien perçu ? Comment avez-vous vécu, réalisé que vous vouliez être artiste ?

Oumar Ball : “Avant tout, mon père Issa Ball, fait partie de la première génération d’artistes ici en Mauritanie. La première exposition à laquelle il a participé remonte aux années 1970, au musée national de Nouakchott avec d’autres artistes de sa génération. En dehors de son rôle de père, il a toujours été un véritable formateur pour moi, il a d’ailleurs un terme qu’il utilise souvent : “l’élève a dépassé le maître ! ” Par contre, j’essaie de faire en sorte que le maître reste toujours le maître !

La chance que j'ai eu, c’est d’avoir été soutenu dès le début par mon papa contrairement à beaucoup de jeunes qui ont été désorientés et peu soutenus. À mes débuts, mon papa m’aidait beaucoup à dessiner, à fabriquer mes jouets, à m’apprendre la morphologie animale ou humaine. Ma maman est tresseuse de métier : sculpter me fait beaucoup penser à elle, mon style de sculpture a certainement une part d’elle également.”

© Archives personnelles de l’artiste. Issa Ball, le père de Oumar dans son atelier au village dans les années 80.

 

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