Gopal Dagnogo dans Gueule Tapée

 

Depuis le début du mois de mai, l’exposition Gueule Tapée - Daradja dédiée à l’artiste franco-ivoirien Gopal Dagnogo, met en lumière le paysage urbain du quartier de la Médina à Dakar, fondé en 1914. Fruit d’un mois de résidence passé dans une maison basse datant de la période coloniale, Gopal s’est inspiré de l’architecture environnante, des artisans omniprésents dans les rues, comme les menuisiers et les forgerons, et a collecté, à l’image des artistes du quartier, des matériaux abandonnés pour recomposer des œuvres qui prennent aujourd’hui place à OH Gallery.

En grand contemplatif, Gopal a arpenté les rues de la Médina à la recherche d’inspiration. Seul ou accompagné, il s’est laissé guider par les récits du quartier, découvrant l’histoire architecturale des bâtisses, les initiatives culturelles portées par et pour les habitants, et rencontrant des figures emblématiques qui incarnent l’âme vivante de la Médina.

 
 

Carole Diop, architecte dakaroise et fondatrice de la revue Afrikadaa, propose depuis quelques années des balades architecturales au cœur des quartiers de Dakar. Elle y raconte l’histoire sociale et architectural de la ville liée à l’héritage de la communauté lébous. Cette initiative a donné naissance à l’ouvrage Dakar Métamorphose qui recense le patrimoine urbain et les défis auxquels la ville est confrontée avec spéculation immobilière galopante. Comme elle l’explique lors de sa balade, la Médina résiste encore et conserve des bâtiments emblématiques de l’époque coloniale, témoins d’une fusion unique entre les traditions architecturales françaises et adaptations locales aux conditions climatiques et sociales. Regroupées en concessions ou plus dispersées, les habitations de la Médina témoignent encore de différentes périodes de l’architecture coloniale. La plupart s’inspirent notamment de la région de Bresse, avec leurs structures en bois et leurs toits à forte pente, caractéristiques devenues des marqueurs du paysage urbain.

C’est à travers les sculptures en bois présentées dans l’exposition de Gopal que s’ouvre une réflexion sur ces anciennes baraques en bois. Ces constructions coloniales, souvent démontables ou transportables, étaient adaptées aux besoins temporaires ou aux conditions de vie changeantes. Elles étaient généralement de plain-pied et pouvaient servir d'abris mobiles . Cependant, avec le temps, certaines de ces structures ont été fixées et intégrées dans le paysage urbain, notamment à Saint-Louis, où elles ont été utilisées comme boutiques ou logements.

Ouvrage Dakar, métamorphoses d’une capitale, Carole Diop et Xavier Ricou. En vente à la galerie.

 
 


Entre 1914 et 1915, à la suite de l’épidémie de peste, les habitants du Plateau furent déplacés vers la Médina, marquant la création officielle du quartier. Selon Carole, les premières constructions étaient faites de paille et de branchages mais au moment de la colonisation et de l’arrivée des militaires français, on transmit la technique de fabrication aux populations locales. Par la suite les maisons furent composées de planches de bois et le toit en tuiles directement importé du Sud de la France de Toulouse et Marseille, devenant ainsi un mode d’habitat répandu au Sénégal.

Cette typologie a évolué en maisons coloniales basses, construites en pierre et en béton, toujours coiffées de tuiles en terre cuite. Entre 1930 et 1940, elles furent progressivement remplacées par des constructions en pierre issue de la presqu’île volcanique de Dakar. Aujourd’hui, cette évolution reste visible dans le tissu social du quartier, notamment autour de Santiaba, en face du siège de la collectivité lébou et de la maison du dignitaire Ndeye di Raaw . Ce lieu, toujours utilisé pour des libations ou bien comme hôtel, témoigne de la structure sociale spécifique des Lébous.

Carte postale montrant la Médina etre 1939 et 1950 éditée par Vincent

Carte postale montrant le déplacement d’une baraque - Collection Fortier, Courtesy : Xavier Ricou

 

Derrière l’effervescence artisanale des rues de la Médina, on découvre aussi un patrimoine artistique vivant. C’est le travail de l’association Yataal Art, fondée par Modboye Diallo, qui a œuvré à la transformation des murs du quartier en musée à ciel ouvert. Ce projet de revalorisation artistique implique des artistes sénégalais et internationaux. En 2015, par exemple, une ancienne baraque en bois a été ornée du visage d’un enfant par le collectif canarien Sabotaje al Montaje, participant ainsi à la préservation des habitations par l’art. Depuis le centenaire, le natif de la Médina organise des visites de ce musée urbain dans une démarche de démocratisation de l’art, en le rendant accessible directement aux habitants dans leur quotidien. Il y fait participer artistes, graffeurs, musiciens sur ces fresques, faisant perdurer l’attraction de ce lieu atypique mêlant scènes urbaines engagées et vie traditionnelle sénégalaise auprès d'autres artistes comme Youssou N’dour ou Pharrell Williams. 

Des ateliers du designer Ousmane Mbaye à celui de Cheika Sigil à l’espace Médina, Modboye Diallo présente les acteurs culturels du quartier tout en collectant les œuvres laissées dans le sillage de l’artiste Pape Diop, des plaques de contreplaqué abandonnées par les menuisiers, ornées de portraits de Serigne Touba. Ces initiatives participent au développement d’une esthétique urbaine fondée sur la récupération, en lien avec l’Art brut de Dakar. Les matériaux de construction usés comme le bois, le contreplaqué ou le fer sont détournés à des fins artistiques.  Gueule Tapée-Daradja devient ainsi une porte sur ce quartier, un lieu d’échange entre la mémoire des matériaux, l’urbanisme et de résistance culturelle.

Texte de Gabrielle Plumel
Avec la contribution de Carole Diop

Crédit :  sabotajealmontaje ® 2025 


notes

  1.  Les lébous sont une communauté ethnique sénégalaise principalement établie sur la presqu'île du Cap-Vert, connue pour sa tradition de pêche et de l’agriculture.  https://www.ohgallery.net/blog/autour-de-lexposition-yoonou-ndokhe-la-voix-de-leau-de-ibrahima-thiam-les-lebous-au-senegal

  2.  Ndeye di Raaw qui signifie « mère du peuple », est aujourd’hui encore occupé par un homme : El Hadj Makhtar Diagne, élu en 2023. Le pouvoir exécutif, organisé en collège, y tient le rôle de ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères.

  3. L’Art Brut incorpore des œuvres réalisées par des artistes sans formation académique, qui rejettent les techniques artistiques traditionnelles. Cet art est également associé à l'enfance, aux artistes souffrant de troubles mentaux, aux personnes isolées socialement et aux marginaux.

BIBLIOGRAPHIE

  • Dakar Métamorphoses d’une capitale, Carole Diop et Xavier Ricou

  • Constellation Médina, Olivia Marsaud (Institut Français de Dakarl)

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