Bernard Guillot a vécu cent vies. Le point commun entre toutes ses histoires et aventures est sans aucun doute l'Art. Pendant plus de trente ans, notamment dans les années 80, il a été un créateur de mode basé à Paris pour de grandes marques telles que Guy Laroche et Dior, voyageant ainsi à travers le monde. Nombre de ses voyages d'affaires se sont déroulés en Italie, où il a fini par s'installer au début des années 2000, d'abord à Florence puis à Lucca se rendant également souvent en Asie où il s’intéresse de près à l'Hindouisme. En parallèle, Bernard exprime sa passion pour l'opéra et la musique classique en écrivant comme critique musical dans des journaux. Vivant dans le Sud de la France, son rêve d’ adolescent est de fréquenter le conservatoire. Il fréquentera à la place l'école des Beaux-Arts d'Avignon où il prend un pinceau pour la première fois et s’aventure dans la peinture académique

Lorsqu'il s’installe à Paris à 21 ans et commence sa carrière dans la mode, il cesse de peindre. La réalité trépidante et excitante qui l'attend ne laisse pas de place à la peinture que Bernard a toujours considéré comme religieusement calme et silencieuse, libérée de tout chose. Selon les propos de l'artiste : "Peindre est un acte exclusif".
Ce qui débute à la place est une longue vie pleine de stridulations. Une vie pourtant dédiée à l'introspection dont l'univers intérieur est principalement influencé et nourri par la musique, les voyages et, surtout, les livres. Par moments, cette psychanalyse se transforme en agitation, presque en mal être, forgé par la peur d'être entraîné dans les méandres de sa propre conscience. Mais entre la peur et le courage, Bernard a toujours trouvé la force de faire face aux interrogations et aux doutes, ou comme il le dit lui-même "d'accepter la recherche continue de soi à travers les doutes".

Les questionnements assourdissants de Bernard s'arrêtent en chemin pour s'éprendre, dans la contemplation, de quelques images choisies qui le touchent et qu'il intériorise. Aujourd'hui, ayant enfin construit après toutes ces années un temple intérieur lui offrant le répit et le silence que la création exige de lui, il peint. Il peint tous les matins à 07 heures et ce, depuis 10 ans. Il peint en remplissant la toile de références à toutes ces images gravées et fossilisées dans son regard. Ainsi, sans ordre particulier, on retrouve dans ses œuvres : la sensation de flottement de corps entassés qui chutent et sortent presque du tableau propre aux maniéristes italiens Pontormo et Bronzino ; la relation de Cy Twombly avec la mythologie grecque, la concentration de mots comme Basquiat ; les contorsions corporelles des figures humaines déchirées par leurs tourments de Francis Bacon.

Les tableaux de Bernard sont des sables mouvants. Un labyrinthe dans la psychologie de son être où il s'enfonce et nous entraine avec élan, rapidité et mouvement. Ils expriment parfaitement la manière de repenser la vie que Marco Aurelio décrit dans Colloqui con sé stesso - traduit littéralement par Conversation avec soi-même - un livre qui a joué un rôle important dans le processus créatif de Bernard.

Il construit l’étrange cheminement de ses créations sur de vastes surfaces de papier Kraft, un support qui permet l’étalement et l’application rapides des couleurs, qui sont un aspect déterminant de son l'œuvre. En effet, les couleurs sont si omniprésentes que le dessin y disparaît presque. Pour les travailler, il n'utilise que de très petits pinceaux ou, au contraire, de très gros pinceaux et de nombreuses brosses à dents utilisées jusqu'à épuisement. Il n'a besoin que d'une poignée de couleurs bien choisies pour peindre : le blanc, le bleu foncé, une couleur semblable au titane et le rouge. Pour ce dernier, prends une place centrale dans la plupart de ses tableaux, il se risque parfois à l'utilisation expérimentale de rouge à lèvre ou de mercurochrome.

L’image se construit petit à petit, en explorant différentes idées, jusqu'à ce qu'une d’elles s'impose et l’emporte sur les autres. Ce qui en ressort généralement est une peinture narrative. Pourtant, les sujets qu’abordent les œuvres n’apparaissent pas de manière la plus évidente. Les travaux expriment plutôt une façon de comprendre le processus de la narration en se concentrant sur l'acte lui-même plutôt que sur ce qui est raconté. En effet, la narration de Bernard n'est pas une narration simple, c'est une narration sur la narration ; un processus très intime, parfois tourmenté, qui consiste à creuser dans ses propres entrailles.

Ces fenêtres vers ce monde intérieur peuvent revêtir différentes formes. Parfois, elles sont surchargées de figures issues d'un jugement universel michelangelesque et parfois elles n'ont pas de figures du tout et sont remplacées par de grands champs de couleur. Ces figures sont tantôt décrites avec précision, tantôt à peine évoquées, presque détruites par une fragmentation cubiste du temps et de l'espace. Cependant, tous les travaux sont liés par une touche personnelle reconnaissable. Par exemple, les scènes sont toujours dépourvues d'horizon ou de perspective, rappelant l'esthétique des paravents NanBan (art japonais du XVIe et XVIIe).

Un autre aspect récurrent dans l'œuvre de Bernard est la présence d'animaux, notamment de rhinocéros, dont il dit qu'ils sont "solitaires, pas amicaux, enclins à l'autodéfense et végétariens tout comme moi". Lorsqu'on l'interroge à leur sujet, il explique que les animaux sont pour lui un passage vers une énergie parallèle à celle de la déesse hindoue Shakti, qui représente toutes les forces dynamiques en mouvement dans l'univers entier. Sans surprise, avant de perdre, Bernard s’enferme dans une belle afin de générer la dimension spirituelle dont il a besoin.

Un autre trait distinctif qui unit l'ensemble des œuvres de Bernard est la liste de dates mentionnées sur chaque œuvre, faisant presque office de signature de l'artiste. Chaque œuvre est peinte plusieurs fois. Pour chacune de ces superpositions, avant de commencer à peindre, Bernard peint la date. La liste finale des dates figurant sur l'œuvre est ainsi le témoin de leur métamorphose au fil du temps ; un temps à la fois écoulé et infini qui trouve son achèvement dans la création de l'œuvre, sans pour autant cesser d’exprimer les sables mouvants répétitifs que créent l’esprit de l’artiste. Les dates sont donc des mémentos que Bernard utilise comme compas pour naviguer sur son propre subconscient.

Dans l'ensemble, les œuvres de Bernard sont les témoins d'une longue expérience personnelle qu'il présente et raconte aujourd'hui au moyen d'une esthétique mature consolidée par des années d'expérimentation. À travers ses peintures, Bernard raconte son propre dialogue intérieur. Il s'agit d'un acte de lutte contre l'ensablement de soi, la chute dans les sables mouvants créé par sa conscience, un lent écoulement des pensées qui luttent pour arriver à bon port.  Métaphore du sablier ou du sable qui se s’écoule, s’échappe entre nos doigts, Bernard parle du temps qui passe. Une situation dont il tente de s’extirper mais où, paradoxalement, il revient toujours, nostalgique, pour y trouver protection et refuge. Sur ce concept, Bernard a dit :

"Je peins pour combattre mes doutes, les doutes sont nécessaires, ils gagnent toujours. Le but n'est pas de les surmonter mais de les affronter, de naviguer dans ce labyrinthe ".

 Au risque de se perdre et de s'enfoncer, l'artiste laisse derrière lui des repères -les dates- un fil d’Ariane, affirmant ainsi sa présence dans le temps.

dossier de presse (FR)