Souad Abdelrasoul : faire exister le symbole pour une expression totale


 

Lors de la présentation de sa dernière solo show présentée à la OH Gallery intitulée Path into the soul, l’artiste égyptienne Souad Abdelrasoul a une nouvelle fois déployé son univers en affirmant ses représentations si particulières de visages, d'identités fragmentées qui caractérisent son style si spécifique, en venant questionner la place des femmes dans un lieu donné, à un instant précis.

Dans ses oeuvres, la plasticienne porte un réel discours qui puise ses origines dans ses propres expériences personnelles et son vécu en tant que femme en Égypte. On y retrouve le traitement des sujets de représentations de l’artiste dans une tonalité presque surréaliste en usant de symboles et de métaphores visuelles. Les références que convoque Souad Abdelrasoul sont nombreuses et permettent un nouvel angle de lecture de son travail qui se situe à l’interstice des violences, des transgressions et du secret.

Par Lorry Besana

 
 
 

Transposer le réel par la recherche plastique

L’espace d’exposition pourrait lui-même être tiré d’une œuvre de Paul Cézanne, mêlant nature morte et corps humains. En parcourant les pièces, les représentations de femmes et de corps noirs laissent voir des visages éloignés de toutes formes de réalités : ils apparaissent déformés, multiples sur des fonds bouchés et de couleurs souvent unies.

La touche de souad est une touche assez nette, les couleurs sont douces, travaillées en transitions subtiles entre les jeux de clairs obscurs. Les œuvres de Souad Abdelrasoul sont de prime abord assez silencieuses et contemplatives.

« Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout en perspective » Pablo Picasso.

La distorsion des corps présente quelques similitudes avec les recherches cubiques du célèbre artiste Pablo Picasso. La perspective y est tout autant modifiée, les corps s’étirent et sont stylisés d’une manière nettement assumée. Le travail du peintre espagnol étant vaste et marqué par différentes périodes distinctes, les œuvres de Souad Abdelrasoul trouvent un écho certain auprès des portraits de Marie Thérèse Walter réalisés dès la fin des années 1920. On y trouve déjà une volonté de géométriser la réalité et les modèles, sans atteindre son paroxysme pour autant.

Cette comparaison dépasse alors les simples similitudes de style est devient assez significative en s’intéressant davantage à la place de Marie Thérèse Walter dans les œuvres et la vie du peintre. Une femme d’abord inconnue, sans identité, qui s’est finalement révélée être, en 1958, l’amante et la mère de l’un des enfants de l’artiste. En d’autres termes, Marie-Thérèse Walter était la représentation même d’une femme silencieuse, rejoingant la constellation des femmes qui ont rythmé la vie de Pablo picasso. Une place attribuée d’office : le sujet principalement questionnée par Souad Abdelrasoul au travers de ses connaissances et de son histoire.

Ce qui est également à mettre en évidence, c’est la considération de la peinture commune qui rapproche Souad Abdelrasoul du peintre espagnol : celle-ci se positionne dans leurs vies non pas comme une simple représentation, mais bien comme une véritable transposition plastique de la réalité.

 

Entre représentation et présentation

Les œuvres de Souad Abdelrasoul ne se situent pas dans la « représentation » d’une scène, d’une action. Les représentations sont habitées de symboles, de compositions souvent énigmatiques convoquant des sens cachés : comme un cœur, une carte ou des voiles et tissus transparents très présents. La juxtaposition des symboles sur les corps des femmes présente une signification codée en lien direct avec les émotions et le vécu de l’artiste.

Les visages et les regards, qui n’ont de cesse de se démultiplier, révèlent ainsi la pluralité des émotions et des nuances qui composent une personne. L’adaptabilité qui est attendue des femmes en sociétés, de part leurs éducations, est bien évidemment une des nombreuses lectures sous-jacentes à ces images symboliques.

Tout comme les célèbres œuvres de Frida Kahlo, celles de Souad Abdelrasoul ne se limitent donc pas à représenter des actions mais bien à retranscrire le monde par l’usage de métaphores visuelles. Peintre mexicaine emblématique du XXI siècle, Frida Kahlo laisse un héritage culturel fort, ancré dans une vision singulière et marquée par de nombreuses épreuves.

Les toiles deviennent pour elles un outil d’expression libre et total où des souvenirs et pensées insondables persistent, se laissant à peine deviner par des regards étrangers. La question de l’autoportrait se pose alors, non pas comme une représentation fidèle de la chair des deux artistes, mais bien comme un morceau de leurs intimités qu’elles partageraient avec d’autres femmes.

Immobilisée dans son lit suite à un accident, Frida Kahlo cherche à transcender les limites de son corps marqué par la douleur en réalisant une série d’autoportraits. Connues pour être de célèbres fenêtres ouvertes sur son intimité, ses œuvres se teintent d’émotions complexes.

Nous retrouvons une certaine dignité dans la représentation des portraits de Souad Abdelrasoul, tout comme l'œuvre Autoportrait dédié à Léon Trotsky ou entre les rideaux, réalisée en 1937 de l’artiste mexicaine. Il s'agit d'un autoportrait de plein pied, où l’artiste est vêtue d’une longue robe, d'un châle et de bijoux imposants. Elle pose ainsi d’une manière assurée, tenant entre ses mains quelques fleurs et une lettre adressée à son amant.

La nature et ses symboles

Souad Abdelrasoul utilise un langage diversifié avec des éléments qui tendent tout de même à se répéter : les présences de vies animales et végétales sont souvent centrales et évocatrices. Des apparitions symboliques qui permettent à l’artiste d’ancrer et d’affiner la portée des messages de ses pièces.

Toujours en lien avec les travaux de Frida Kahlo, nous pouvons déceler une certaine influence qui trouve sa source dans le réalisme magique, un courant littéraire initié par le critique d’art 1925 allemand Franz Roh permettant de mettre en exergue les éléments irrationnels, surnaturels d’un environnement réaliste. Par cette fusion, Souad Abdelrasoul fait de son monde intérieur une réalité alternative.

L'œuvre Les deux Fridas réalisée en 1939, inscrite dans le réalisme magique, met en avant le lien essentiel entre humanité et l’environnement dans laquelle cette dernière évolue. En témoignant d’une certaine dualité. La figure du cœur vient également lier les deux artistes. Le réalisme magique intervient pour faire coexister deux voire plusieurs réalités, faisant intervenir détails, couleurs et compositions à son service.

La présence de la nature omniprésente dans les œuvres de Souad Abdelrasoul entre aussi en résonance avec l’univers littéraire et philosophique de Jean-Jacques Rousseau, où celle-ci est devenue centrale dans son discours et sa pensée. Dans ses travaux comme les Rêveries d'un promeneur solitaire (1776-1778) : le concept de nature est omniprésent et a suscité de nombreuses analyses par des chercheurs contemporains. Elle fascine par ses secrets et sa présence dépourvue de toutes formes de dissimulations. Jean-Jacques Rousseau défend ainsi une approche empathique de la nature, appelant à la contemplation de son ordre. Il effectue un lien direct entre la matière physique et la nature humaine dans le but de disséquer la source des vices humains.

Les œuvres de Souad Abdelrasoul présentent de nombreuses influences empruntes à différentes cultures et différentes périodes historiques. Ces influences qui se croisent et se côtoient sans cesse reflètent l’esprit de recherche et de curiosité de l’artiste, qui veille à venir en permanence nourrir son travail de références diverses. Le caractère insondable demeure présent dans ses pièces en usant de présences animales, végétales et humaines universelles.

 

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