Géopolitique du Sénégal au XIXème siècle, les femmes de Nder


 

L’histoire de Nder quoique beaucoup d’études en soient consacrées, fait partie de ces facettes de notre mémoire collective plus ou moins méconnue par le grand public notamment la jeune génération.

Nder (1) , une cité royale dans le royaume Waalo, a été, le théâtre d’un événement tragique et marquant dans l’Histoire du Sénégal : « Talataay Nder » ou un mardi 07 mars 1820 dans le village de Nder, capitale autrefois du royaume, où les femmes ont préféré la mort plutôt que de vivre dans le déshonneur et l’humiliation de la captivité. Ce pan de notre histoire s’inscrit dans un Sénégal des royaumes au XIXe siècle marqué par l’esclavage, les guerres entre royaumes voisins et la domination européenne.

Le royaume Waalo était situé à l’embouchure du fleuve Sénégal entre le nord du Sénégal et le Sud de la Mauritanie avec une ouverture sur l’Océan Atlantique. Son histoire reste indissociable à celle de l’empire du Djolof.

Selon la tradition orale, c’est Ndiadiane Ndiaye le fondateur successivement du Waalo puis du grand Djolof. Nommé Brak du Waalo, Ndiadiane entreprit des expéditions sur les terres voisines pour étendre son influence, il parvient ainsi à conquérir ou vassaliser les royaumes de la Sénégambie et constituera par la suite l’empire du Djolof où il fut le premier buurba (roi). Cependant, d’autres sources rattachent la constitution de l’empire du Djolof au regroupement et aux brassages entre divers peuples (Toucouleurs, Peuls, Sérères, Sarakholés), créant ainsi une société homogène partageant une langue commune : la société Wolof. Ensembles, ils formeront le peuple wa-laf (les riverains) : le Grand Djolof.

Englobant les royaumes du Cayor, du Baol, du Waalo, du Sine, du Saloum et une partie du Fouta-Torro, le Djolof fut un vaste ensemble territorial occupant la majeure partie du Sénégal et reposant sur une bonne organisation sociale et politique, et une économie basée sur l’agriculture, la pêche, l’élevage, l’artisanat et le commerce (troc).

 

L’empire était divisé en lamanats et chaque lamanat est dirigé par un lamane qui rendait compte au buurba. Mais, l’arrivée des européens notamment les portugais au XVe siècle ouvrit une nouvelle ère pour la Sénégambie avec les échanges commerciaux. Ce nouveau système économique fait lever des mouvements d’émancipation réclamant leur autonomie dans les provinces du Djolof fragilisant ainsi l’empire.

La poussée des régions va aboutir à la bataille de Danki 1549 où Amary Ngoné sobel Fall (lamane du Cayor) bat le buurba Lélé Fuuli Fak libérant ainsi le royaume du Cayor et devenir le premier damel (roi du cayor). A partir de là, les autres provinces prenaient tour à tour leur indépendance jusqu’à réduire le grand Djolof aux dimensions d’une royauté. La Sénégambie fut, ainsi, jusqu’à la colonisation, composée de six royaumes le Djolof, le Baol, le Cayor, le Waalo, le Sine et le Saloum.

Ancienne province de l’empire du Djolof comme le Cayor, le Baol, le Sine et le Saloum, le royaume du Waalo, dirigé par un brack (titre du roi du waalo), est une région historique située dans le delta du fleuve Sénégal et occupant une position stratégique entre le monde arabo-berbère et l’Afrique. Cette position géographique a fortement contribué à l’histoire très éprouvante du royaume notamment une exposition constante à la traite négrière et à la pression constante des royaumes voisins ainsi que le contact dès les premières heures avec l’Europe. Cette pression étrangère est à l’origine des déplacements au XVIIIe siècle de la capitale du Waalo : tout d’abord de Njurbel (actuel Rosso- Mauritanie) à Ndyany (près de Richard-Toll) et ensuite de Ndyany à Nder.

 
 

Vue de l’exposition Talataat Nder
© Lune Diagne
Les flammes de Nder I, 2022, technique mixte sur tissu, 300 x 250 cm

« On ne peut que lui savoir gré sortir ainsi dans la pénombre, l’évolution socioéconomique et politique d’un petit État africain en proie à des tensions internes fréquentes et soumis aux influences de ses voisins : Cayor plus riche, plus puissant ; Toucouleurs du moyen fleuve, prosélytes d’un islam expansionniste et relativement démocratique ; Maures de la rive droite dont la tutelle et les razzias fréquentes n’ont pas pu contribuer à l’affaiblissement du pays et de ses institutions ; Européens, enfin, portugais d’abord pratiquant la troque sous voile dès le XVe siècle dans le fleuve ; Français surtout, ensuite, s’installant dans les îles de l’embouchure et créant en 1658-1659 le comptoir Saint-Louis (2)  »

Des vices que cette société monarchique wolof s’opposa par la résistance dans toutes ses formes. La résistance persévérante menée face aux esclavagistes maures trarza (3) , par exemple, fut symbolique dans la lutte contre l’esclavage dans l’Histoire du Sénégal. En effet, ces tribus vassales du Maroc tiraient leurs revenus dans les trophées de guerre ainsi que le commerce d’esclaves. Par ailleurs, à coté de la traite transatlantique qui a duré plus de trois siècles, la traite arabo-musulmane paraît plus ancienne (du VIIe au XXe siècle) et a causé plus de victimes puisqu’entre le Moyen-Âge et le XXe siècle, les arabes ont vendu plus de 17 millions d’esclaves africains. Ce fut donc un long processus pendant lequel l’Afrique noire fut le théâtre d’événements d’une extrême brutalité.

L’histoire de Nder s’inscrit donc dans un contexte historique mouvementé où d’une part, il y a, dans le souci de faire avancer le vieux continent, des expéditions européennes pour prendre possession de l’Afrique subsaharienne et d’autre part la pression des voisins notamment la traite arabe des esclaves. Et les traitants arabes dont les commerces d’esclaves et gomme furent leurs principales sources de revenus menaient de grandes expéditions en Afrique subsaharienne pour s’approvisionner et revendre en Afrique du Nord jusqu’en Inde. Les européens, commandés par l’évolution de leur société ainsi que les besoins socio-économiques et commerciaux vont imposer tour à tour aux royaumes d’Afrique des phases de domination (commerce de troc, comptoirs de commerce certifiés, colonisation agricole) qui vont aboutir à la colonisation dans la seconde moitié du XIXe siècle. Une concurrence effrénée naitra de ce « mano a mano » où chacun défend farouchement ses intérêts idéologiques et économiques.

Ainsi, le traité (4) signé le 08 mai 1819 par le brak du waalo et les français pour la colonisation agricole. Cette alliance entre la France et le waalo entraine des réactions hostiles dans les territoires voisins notamment les maures trarza qui voyaient leurs plans commerciaux contrariés (5). Cet accord est la cause d’une des épisodes les plus tragiques et les plus dramatiques de l’histoire du Sénégal. Amadou Bakhaw Diaw, nous raconte cette histoire : « Pour l’Almamy du Fouta la construction d’un fort militaire au village de Dagana était un casus belli. De cette place forte de Dagana, les Français avaient la possibilité d’attaquer le Fouta. L’almamy envoya une correspondance au Brack lui demandant de rompre le Traité avec les infidèles français sous peine de lui déclarer la guerre et lui rappelant que le village de Dagana était une possession du Fouta. Fort de la nouvelle alliance militaire de la France le Walo refusa également de payer la coutume annuelle de 100 bœufs qu’il payait à l’Emirat maure du Trarza afin d’éviter à sa populations des razzias. À la frontière sud le Damel Birima Fatma Thioub Fall était aussi hostile à la présence française au waalo. C’était un précèdent dangereux pour lui car pour la première fois des blancs quittaient les îles ou ils étaient installés (Gorée, Saint-Louis) pour s’établir à l’intérieur des terres sur le continent (6) .»

 
 

© Lune Diagne, Les flammes de Nder II, 2022, technique mixte sur tissu, 156 x 73cm
Exposition Talataat Nder

 

© Lune Diagne, Les flammes de Nder III, 2022, technique mixte sur tissu, 264 x 145cm
Exposition Talataat Nder

 

L’installation des troupes à Saint-Louis (comptoir commercial) à travers le traité signé va accentuer la pression des voisins notamment la tribu du nord (maures Trarza) qui voyaient ce projet de colonisation agricole comme une source de ruine. Ainsi, le salut pourrait venir sur le fait de contrôler le royaume du waalo afin d’empêcher une domination française sur la région. Amadou Bakhaw Diaw poursuit : « Le 21 Septembre 1819 avec la complicité du mulâtre saint-louisien Pellegrin les troupes de l’Emir du Trarza Amar Ould Moctar attaquèrent par surprise le village de Thiaggar ou le Brack Amar Fatim Borso Mbodj tenait un conseil du trône. Lors de cette attaque appelée en wolof « Mbettoum Thiaggar » le Brack eut la jambe fracturée et fut évacué à Saint louis ; les chefs de guerre le Diawdine Madiaw Xor Aram Bakar Diaw et Moussé Sarr Fary Diop furent blessés, le Mangass Boubacar Daro Mbodj. Au nombre des chefs tués, se trouvaient, le Maalo Ndiack Ndongo Diaw, le Beur-Ti Yérim-Salma Diop. Vingt six (26) autres habitants du village furent tués et bien d’autres amenés en captivité en Mauritanie dont le griot Mbaydé Fapeinda Thioune Diop. Le verrou militaire que constituait le village fortifié de Thiaggar ayant sauté la voie était libre pour la prise de la capitale Nder (7)  »

Le mardi 07 mars 1820, les femmes de Nder opposent, en l’absence des hommes dans la cité de Nder, une résistance héroïque aux esclavagistes maures venus du Nord du fleuve Sénégal. Submergées, solitaires et fragiles face aux incessantes tentatives des coriaces traitants arabes, les femmes de Nder ont opté pour le sacrifice en étant libre et digne plutôt que le déshonneur de la captivité. En d’autres termes, elles ont choisi de s’immoler dans une case que de vivre dans l’humiliation constante avec comme crédo : mourir en femme libre et non vivre en esclave. Malgré que de plusieurs années, un rite «talataay nder » fut instauré dans le village de Nder pour honorer la mémoire des résistantes de Nder, cette réalité historique très symbolique pour la nation sénégalaise, loin d’être une utopie et bien documentée, fait lever des voix pour une commémoration à sa juste valeur au niveau nationale : journée nationale dédiée aux femmes sénégalaises en hommage du sacrifice suprême des femmes de Nder.

Nianga Diouf
Assistant de galerie


NOTES


  • (1) Un village du nord du Sénégal situé sur la rive occidentale du Lac de Guiers, autrefois capitale du Waalo

  • (2) Compte-rendu de Yves J. Saint-Martin sur le livre de Boubacar Barry : le royaume du Waalo. Le Sénégal avant la conquête, revue française d’histoire d’outre-mer, p. 689

  • (3) Tribu vassale du Maroc au nord du fleuve sénégal et terre voisine du waalo

  • (4) Un texte réglementaire établissant entre eux union parfaite, paix et amitié constantes et ouvrir de nouvelles relations desquelles il puisse résulter des avantages réciproques tant pour la France que pour le pays du Waalo

  • (5) La partie septentrionale du Royaume du Walo qui se trouvait sur la rive droite était occupée par les Maures du Trarza qui faisaient de fréquentes incursions sur la rive gauche et les différents Brack Kouly Mbaaba DIOP et Sayoodo Yacine MBODJ qui se succédèrent furent obligés de payer des tributs aux émirats maures.

  • (6) Le traité de NDIAW du 08 mai 1819 : Début de l’histoire moderne du WALO et du Sénégal, https://www.ndarinfo.com/Le-traite-de-NDIAW-du-08-mai-1819-Debut-de-l-histoire-moderne-du-WALO-et-du-Senegal_a21736.html

  • (7) Le traité de NDIAW du 08 mai 1819 : Début de l’histoire moderne du WALO et du Sénégal, https://www.ndarinfo.com/Le-traite-de-NDIAW-du-08-mai-1819-Debut-de-l-histoire-moderne-du-WALO-et-du-Senegal_a21736.html

 

à propos de Nianga diouf

Nianga Diouf est un jeune professionnel du patrimoine culturel titulaire d'un master en gestion du patrimoine et des institutions culturelles. Après son baccalauréat, il fut orienté vers la section “Les métiers du patrimoine” de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal.

Sa formation polyvalente lui a permis de posséder une expertise sur plusieurs domaines. Avant de début au sein de OH GALLERY comme assistant de galerie en 2022, Nianga est passé par plusieurs institutions et dispose d'expériences professionnelles diverses. 

Il projette aujourd'hui de faire une carrière de recherche dans l'étude du patrimoine en Afrique, son développement et son devenir. 

 

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