MÉNÉ PAR SYLVAIN SANKALÉ


 

Ange Méné continue de promener les silhouettes improbables de ses personnages à travers son œuvre et à travers nos vies et nous lui savons gré de la douceur et la couleur qu’il y met. Et, insensible à l’appel des sirènes des gloires rapides et incomplètes, il mène sa carrière d’artiste solide sérieux, aux quatre coins du monde, sans bruit et sans fureur.

Diplômé de l’INSAAC (l’école des beaux-arts d’Abidjan) et professeur certifié d’art plastique dans un lycée de la ville, il va son chemin, sans tapage inutile, mais avec opiniâtreté et talent.

Et pourtant ils sont de plus en plus nombreux ceux qui apprécient ses multiples talents qu’il exprime dans des œuvres peintes de grande qualité. Car c’est de peinture qu’il s’agit, l’artiste ne s’étant, à ma connaissance, jamais départi de ce média pour exprimer ses sensations, ses visions, ses rêves et ses moments de mélancolie. La peinture comme une façon d’exprimer les émotions pour un homme dans la quarantaine tranquille, qui ne parle pas beaucoup, économe de ses gestes, de ses éclats de rire et de ses larmes, sûrement. Tout est dans ce travail, toujours richement coloré, qu’il poursuit obstinément depuis des années.

 
 
 

Nous lui avons connu des supports divers, papier, toile, bâches en plastique sur lesquelles des peintres en bâtiment avaient laissé leurs coulures au gré du hasard. Tout lui est bon pour ensuite, par la magie de la couleur, réinterpréter les choses et leur donner la tournure qu’il a souhaitée.

Sous l’apparent désordre de ses œuvres, on peut trouver non seulement une excellente maîtrise technique, mais également un travail de composition qui est d’autant plus remarquable que ses peintures semblent livrées au hasard. L’équilibre des masses n’a véritablement rien d’aléatoire, tout comme le chromatisme de la palette qui obéit à une harmonie qui, sans être classique, est absolument indéniable. L’artiste réussit la prouesse d’ordonner son apparent désordre et ce n’est pas le moindre de ses mérites. Et les œuvres ici exposées, sont d’assez grande dimension pour asseoir leur présence face au spectateur.

Même s’il y en a quelques-uns de profil, la plupart des personnages sont saisis de face. Car toutes ses œuvres sont habitées de personnages humanoïdes, qu’on dirait souvent descendus de quelque soucoupe volante, et qui pourtant semblent tellement appartenir au même monde que nous. Car c’est de l’humaine condition qu’il est ici question, de l’homme, son royaume, ses commensaux et son environnement immédiat.

 
 


Il est impossible de rien contextualiser; tout semble à la fois étrange et familier et l’on se prend à avoir envie d’entrer dans la danse ou de se laisser entraîner vers on ne sait quelle nouvelle dimension. Passé, présent, futur, semblent s’entremêler pour nous mener dans  un espace de temps et de lieu qui nous est inconnu et pourtant dans lequel on se sent chez soi, comme ces réminiscences d’un autre âge et d’une autre époque, d’une forme de vie antérieure, qui reviennent à la surface de notre conscience, sans rime, ni raison.

Les titres de ces tableaux sont très évocateurs et confortent notre sensation de bien-être et de reconnaissance. Ainsi en va-t-il de cette Terre des hommes, que l’artiste dans sa béatitude nous dit Terre d’amour, ou de ces lieux qui ne seront jamais sombres, ces espaces de liberté où se reflète l’artiste, tout nous indique un optimisme fondamental qui, pour n’être pas démonstratif, n’en est pas moins sensible et aisément perceptible. Il y a au moins, par exception, une vision d’un autre monde, dont les hôtes semblent plus oiseaux ou poissons qu’humains, ce monde n’est pas angoissant, il est juste différent, autre et cela ne semble pas affecter plus l’artiste, qui ne nous suggère rien, nous laissant tirer en nous-mêmes nos propres conclusions. Bleus ou pastels  s’invitent à notre regard et nous proposent encore d’autres approches de ces espaces dont seul l’artiste possède la clé.

Monde rêvé (DREAM WORLD) comme l’artiste a entendu intituler cet ensemble que l’on voit très cohérent malgré ses apparentes dissemblances. Monde qu’il a vu en rêve et s’est hâté de re-transposer sur la toile, ou bien monde dont il rêve, mais n’a jamais vu?

Nul ne saura jamais si c’est une vision du passé ou une vision du futur qu’il offre ainsi à notre convoitise et aux élucubrations de nos âmes. L’univers coloré d’Ange Méné nous transporte et nous donne tant de plaisir, tant de prétextes à de douces rêveries que l’on est prêts à le suivre, sans trop songer aux conséquences, car nous savons sa bienveillance en tant qu’homme et en tant qu’artiste.

Dans cette état de suspension de la conscience active où il nous engloutit, traverser son univers nous apporte joie, force et beauté et, quelque part, nous aide à oublier le monde réel qui nous entoure et qui ne nous rend que trop rarement heureux. Hâtons-nous de nous embraquer dans cette douce féérie, comme une barque sur l’océan limpide et tranquille et faisons confiance au rameur, il connait les écueils, il connait les courants, il connaît le chemin, il est initié.

Sylvain Sankalé

Texte écrit dans le cadre de l’exposition Deam work
présentée à 2019 à la galerie Out of Africa

 
 

à propos de sylvain sankalé

 

Sylvain Sankalé, 62 ans, est né à Dakar.

Juriste de formation, il a été pendant 26 ans avocat au Barreau du Sénégal et, en parallèle, au Barreau de Paris pendant 15 ans.Depuis plus d’une dizaine d’années, il travaille en qualité de consultant en concentrant ses interventions sur le monde des investissements en Afrique de l’Ouest.

Après avoir fait toutes ses études au Sénégal, il a soutenu une thèse de doctorat en Histoire du droit et des faits économiques et sociaux devant l’Université de Montpellier I (France) en 1998. Il a travaillé sur le Sénégal au tournant des XVIII°/XIX° siècles à travers la reconstitution de la vie d’un de ses ancêtres et a publié ensuite ses travaux sous la forme d’un roman historique sous le titre « A la mode du pays » paru en 2008 aux éditions Riveneuve à Paris, avec une préface de Monsieur Jean-Christophe RUFIN, de l’Académie Française.

Féru d’art et de culture, il est critique d’art, auteur de multiples publications, membre de l’Association internationale des critiques d’art (AICA) et a présidé la Biennale de l’art contemporain africain DAK’ART lors de l’édition de l’an 2000. Il est membre du Comité d’orientation et d’organisation de DAK’ART 2022. Il enseigne et est membre du Conseil d’établissement de l’Institut supérieur des arts et des cultures (ISAC) de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar, depuis sa création. Il a eu à intervenir dans plusieurs universités au Sénégal et à travers le monde (France, USA, Côte d’Ivoire, Hongrie, Chine.

Il a obtenu le Prix du Palais littéraire (Francophonie) à Paris en 1994 pour sa monographie consacrée au peintre sénégalais Souleymane Keïta (Editions SEPIA/NEAS Paris/Dakar) et une mention du jury du Prix Favard de Langlade décerné à Paris par l’Institut international d’histoire du notariat (IIHN), en 2000, pour sa thèse de doctorat.

Et puis Sylvain Sankalé collectionne avec passion depuis de longues années, en plus de l’art contemporain sénégalais, les arts dits « premiers » d’Afrique de l’ouest.

 
 

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