RITES DE PASSAGE

Judith Quax
26 - 30 Décembre 2023
dakar

REGARDE !

Présentation

Le ciel sous leurs pieds
Vamba Sherif

Lorsque Judith Quax a traversé l'Europe et l'Afrique du Nord avec son fils Noah Saliou depuis les Pays-Bas jusqu'au Sénégal pour unir son enfant à son héritage africain, elle a dû se rendre à l’évidence qu'il s'agissait d'un voyage aux ramifications profondes, tant pour elle que pour l'enfant. Ce voyage a réussi à susciter de nouveaux intérêts, de nouveaux parcours, et de nouvelles découvertes chez l'un comme chez l'autre ; l'aspect spirituel du voyage n'étant pas le moindre. Dans la voiture qui les conduisait des Pays-Bas au Sénégal étaient accrochées des amulettes à l'effigie de l'homme dont l'enfant portait le nom, un érudit et un saint dont les histoires sont ancrées dans une des dénominations du soufisme qui a prospéré au Sénégal, comme nulle part ailleurs dans le monde, la Mouridiyah. Les amulettes portées autour du cou, de la taille, ou encore du bras, ou simplement gardées à proximité, sont censées protéger, porter chance et rapprocher le porteur du saint dont les paroles sont inscrites dans les amulettes, et donc de Dieu. Ces inscriptions sont souvent des poèmes de louange à Dieu ou au maître soufi, un verset du Coran, ou une supplique fervente du porteur de l'amulette au tout-puissant.

Outre l'importance mystique du nom qui lie l'enfant à son homonyme, l'aspect spirituel du voyage de Judith et Noé se retrouve également dans ces amulettes, un symbole destiné à les rassurer sur le fait que tout ira bien, au cours d'un voyage dont l'issue est loin d'être certaine et qui pourrait être parsemé de dangers. L'homonyme ainsi que les paroles de Dieu veillent sur eux.

Les voyages nous font vivement prendre conscience des possibilités infinies de la vie. Ils ouvrent des horizons en nous ou au-delà de nous dont nous ignorions l'existence. Judith et Noah s'émerveillent de la majesté du désert, de la beauté des chameaux, et du silence profond des nuits étoilées. Tout au long du voyage, de nouveaux liens se tissent, de nouvelles amitiés se nouent, et toute difficulté rencontrée est partagée avec les autres voyageurs, comme Judith et son Noah le font avec les Sénégalais qui les accompagnent.

Et à la fin du voyage, lorsqu’ils pensent tous deux avoir atteint leur objectif, qui consiste essentiellement à unir Noah à son héritage africain, un tout nouveau monde s'ouvre à eux. Ce nouveau monde, c'est l'envie persistante chez Judith d'explorer l'aspect spirituel de l'héritage de son enfant, un aspect omniprésent dans tout le pays. Le Sénégal respire et soupire la spiritualité. Plus de 95 % de la population est adepte du soufisme, le soufisme mouride ayant donné naissance à des personnalités qui ont marqué l’histoire du pays pendant des années. À la base du soufisme sénégalais, qui a ses variantes, se trouve l'amour de toute l'humanité. Le pays tout entier semble embrasser cet héritage mystique, même ceux qui n'épousent pas l'islam.

L’envie de Judith d’approfondir cet aspect particulier de l’héritage de son enfant est si forte qu’après de nombreuses années et plusieurs voyages plus tard, Judith décide de se mettre en action. Et puisqu’elle est une femme et que c’est son amour pour son enfant qui a donné lieu au premier voyage, elle choisit d’explorer le rôle de la maternité et du leadership des femmes au Sénégal.

Avant l’avènement de l’islam et du christianisme, de nombreuses sociétés africaines fonctionnaient sur la base non pas du genre féminin-masculin, une importation occidentale qui a conduit à beaucoup de confusion et de difficultés, mais de l’ancienneté. C’est sur cette base que la société fonctionnait, car plus la personne était âgée, plus elle était sage et importante dans la société. Ainsi, une femme d’une qualité, d’une sagesse, et d’un âge particuliers pouvait présider les rassemblements et les diriger malgré son sexe. Plusieurs histoires de création en Afrique commencent avec la femme, la mère, le porteur de vie, et le premier être humain. Même avec l’avènement de l’islam, en particulier dans le soufisme, qui a attiré beaucoup de gens en Afrique en raison de sa proximité avec le mode de vie africain, un mode de vie dans lequel l’ancienneté et le travail acharné étaient récompensés, les femmes se sont élevées dans ses rangs et ont été considérées et traitées comme des leaders, comme Muqaddamas. C’est le mot arabe pour désigner les commandants ou les dirigeants. Nulle part ailleurs dans le monde islamique il y a autant de Mugaddamas qu’au Sénégal. Mais cette singularité est en fait le reflet de la composition de nombreuses sociétés africaines dans lesquelles les anciens sont vénérés peu importe leur sexe. En fin de compte, ce sont leurs actes, leur rôle dans la société, qui comptent.

Ce rôle de leadership des femmes a inévitablement mené Judith à Mame Diara, la femme qui incarne la maternité et le leadership des femmes. C’était une sainte à part entière et ils sont des milliers à visiter son mausolée chaque jour. Judith décide de partir à sa recherche et, ce faisant, d’explorer la maternité, les femmes, et le leadership au Sénégal.

« Le ciel est sous les pieds des mères », un célèbre dicton attribué au prophète Mahomet. Ce hadith largement récité et chanté, dans d’innombrables lieux, de l’Afrique de l’Ouest aux Amériques, et du Moyen-Orient, à l’Asie, à l’Extrême-Orient, est au cœur de la vénération et de l’importance des femmes comme porteuses de vie, comme celles qui assurent la continuité des sociétés. C’est pourquoi Mame Diara est respectée. Elle est d’ailleurs la mère du fondateur de la Fraternité Soufi Murid au Sénégal, Ahmad Bamba. Non seulement elle était la mère de ce grand sage et érudit, mais ses propres actes en tant que femme et le rôle qu’elle a joué dans la vie sont tout aussi importants.

Mame Diara est l’une des nombreuses femmes leaders qui ont influencé et continuent d’influencer le cours de l’histoire sénégalaise : des combattantes de la liberté contre le régime colonial français comme la féroce Aline Sitoe Diatta (1920-1944) à de grandes écrivaines comme Ken Bugul du Baobab fou et Mariama Ba du célèbre roman Une si longue lettre. L'importance de Mame Diara est mise en avant chaque jour par les myriades de personnes qui convergent vers son mausolée. C'est là que le voyage commence pour Judith.

Pour son pèlerinage, Judith choisit trois femmes pour l’accompagner. Ces femmes sont nées et ont grandi au Sénégal et elles apprécient ses efforts. Ce sont ses guides.

De bon matin, alors que le monde dort encore, les femmes partent avec Judith au volant, en direction de Porokhane. En fond, un chœur de voix s’élève en chantant du lecteur de musique, encore et encore : La illah illah, Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah. Les femmes sont vêtues de foulards. Une grande solennité s’abat sur elles comme si chacune était consciente de l’importance de ce pèlerinage. Les conversations sont brèves, les quatre regardant au loin, prises dans le poids et la révérence du moment. Ce sort, cette soumission des fidèles aux préceptes de la foi, ne se rompt pas au fur et à mesure que le voyage se déroule. Le paysage change : de temps à autre, un baobab géant se dresse au loin, majestueux et auguste dans sa splendeur, et est remplacé par une savane d’abord luxuriante, puis sèche, aride et poussiéreuse.

La route poussiéreuse finit par céder la place à une route goudronneuse et il y a des signes que les pèlerins approchent de leur destination. Après des heures de route, alors que la ville de Porokhane est en vue, le chant dans la voiture est supplanté par des chants plus importants, provenant de gigantesques haut-parleurs : ce sont un appel à la prière, une récitation du Coran, ou les voix d’un groupe d’adorateurs hurlant les noms de Dieu. Partout où l’on se tourne, où que l’on regarde, il y a des signes de l’importance de cette femme, la mère du fondateur du Mouridyah, celui qui a donné naissance au saint. Les magasins vendent des amulettes, des tapis de prière, des articles associés à Muridyah. Toute la ville est comme un mausolée érigé à la mère Mame Diara.

Le véritable mausolée fait partie d’une mosquée. C’est ainsi que les mausolées dans le monde islamique sont construits, dans ou autour d’une mosquée, pour rapprocher les adorateurs de Dieu alors qu’ils se rassemblent pour commémorer et vénérer les saints parmi eux. Partout, l’esprit de Mame Diara vit, prospère, et respire dans les actions des vivants. Quelque part dans la ville, un groupe d'hommes vêtus de noir et de blanc se rassemble dans une lumière tamisée, et le chant qui avait résonné dans la voiture pendant le voyage est répété ici sous une forme élaborée et solennelle. Les hommes forment un cercle et louent le Créateur. C'est le moment le plus émouvant du pèlerinage. Les hommes se déplacent en transe en évoquant le nom du Seigneur. Et ceux qui étaient venus pour regarder sont touchés au-delà des mots.

C'est en substance ce qu'est le pèlerinage au mausolée de Mame Diara, une célébration de la vie.

Projet réalisé avec le support de

ÉVÈNEMENTS

EVENTS


Conversation

Mercredi 27 décembre à 15h30
suivi d’une visite commentée de l’artiste

Intervenantes : Salimata Thiam, Mariama Ndiaye et Judith Quax

La conversation a pour objectif d’éclairer sur l'évolution du statut de Mame Diara dans le contexte mondiale et au Sénégal en particulier. Dans quelle mesure les opinions ont-elles changé ? et sont-elles malléables aujourd'hui ? Comment et dans quelle mesure ce culte de la personne reflète-t-il réellement les relations sociales ? Entre autres des thèmes tels que la spiritualité, l'émancipation, le leadership féminin et le féminisme au sens large seront abordés.

DEDICACE PUBLICATION touki, voyage à dakar

Le livre Touki, voyage à Dakar de Judith Quax sera disponible à la vente dans notre Store. La conversation sera suivi d’une dédicace du livre et d’un cocktail.

À PROPOS


JUDITH QUAX

Judith Quax a étudié à l’Académie de Photographie d’Amsterdam.

Après un travail sur le mysticisme soufi au Sénégal, elle s’est concentrée sur les migrations internationales.

Ses travaux ont été exposés à Dakar, Lagos, Berlin et Amsterdam. Ils ont également été publiés dans les revues Nka : Journal of Contemporary African Art et African Arts. En 2014, elle a publié Presence in Absence. Son travail porte aujourd’hui sur le rôle de la photographie comme lien entre les migrants et leur famille restée au pays.

Son livre TOUKI - Voyage à Dakar est un essai photographique sur le voyage qu'elle a fait avec son fils néerlando-sénégalais Noah Saliou, d'Amsterdam à Dakar.

Dans de nombreuses villes, ils ont été hébergés par des familles et des amis sénégalais. Certains les ont rejoints pendant une partie du voyage, ou ont déposé des colis dans la voiture pour qu'ils les ramènent chez eux. D'autres ont partagé leurs histoires sur la nostalgie, la patrie et la séparation d'avec leurs proches.

TOUKI a été l'un des meilleurs livres néerlandais conçus en 2020 et a été exposé au Stedelijk Museum d'Amsterdam.

SALIMATA THIAM

Spécialiste en civilisations africaines, genre et développement et gestion de projets, avec 20 ans de dévouement professionnel à l’égalité de genre, à l’autonomisation de la femme, au leadership de la jeune fille, à la réduction de la pauvreté et au développement durable.

Depuis septembre 2006, Salimata occupe le poste de Chargée de Programmes Principale, Analyse et Exécution des Programmes Genre de la CEDEAO au Centre de la CEDEAO pour le Développement du Genre (CCDG) basé à Dakar, Sénégal. Elle assure la coordination et veille à la bonne marche des différents programmes et de leurs mécanismes de gestion.

Au cours de ces 16 dernières années, elle a pu apporter un soutien technique aux 15 Etats membres de la CEDEAO à mieux planifier et mettre en œuvre des programmes relatifs à la promotion de l’équité et de l’égalité en matière de genre au niveau  de la région Afrique de l’Ouest. J’ai effectué plusieurs missions de terrain pour informer, sensibiliser et plaider pour l’avancer de l’Agenda Genre niveaux national, régional, continental et international.

Elle a été pleinement impliquée dans l’élaboration et ou la révision de la plupart des engagements Politique Genre de la CEDEAO. Elle a initié ou participé à l’adoption de la plupart des politiques et stratégies genre de la CEDEAO par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO ou par d’autres entités décisionnelles au niveau de la CEDEAO, avant de travailler avec les Etats membres et les autres acteurs bénéficiaires pour assurer une mise en œuvre effective à ces programmes. 

MARIAMA NDIAYE

Mariama Ndiaye dirige un groupe de femmes analphabètes et une école à Pikine qu'elle a elle-même fondée. Elle est active dans la politique municipale, l'alphabétisation, les projets sociaux et les projets pour les femmes. 

Elle a effectuer de nombreux stages de formation au leadership pour les femmes au Canada

En 2006, elle est contacté par la FESEN avec d’autres groupements de femmes pour le projet Foyer Améliorés lancé par la GIZ. Ce qui lui permettra d’ouvrir une garderie d’enfants pour insérer les orphelins et les enfants en situation défavorisés dans la commune de Guinaw Rail Sud. Il y sensibilisa notamment les femmes sur les inégalités sociales. Entre 2015 elle voyage énormément dans la sous région notamment au Bénin et au Ghana où elle développe des plan de logement amélioré à grande échelle.